mardi 13 mars 2007

Notes de lecture sur Jean Mauriac


Jean Mauriac a été le correspondant de l’AFP auprès du Général de Gaulle de la Libération jusqu’à la mort de celui-ci. Pendant vingt-six ans, il a été le témoin privilégié, le confident même du héros national, président de la République pendant près de onze ans.

De cette exceptionnelle proximité, Jean Mauriac en a retiré une foi gaulliste intransigeante, austère et implacable.

Les éditions Fayard ont publié, il y a quelques mois, les notes confidentielles de Mauriac, prises au fil de son travail de journaliste politique, entre 1969 et 1989. C’est « L’après de Gaulle ».

Présenté et annoté par Jean-Luc Barré, historien et écrivain, ce livre nous glisse dans la confidence et les coulisses d’une fin d’époque étonnante tant la réalité désacralise la geste des « barons » gaullistes.

Car, même si on le savait, il est éloquent de mesurer combien les rivalités entre héritiers sont violentes, comment sont recuites les haines entre ceux qui furent grognards ou courtisans et qui, le grand homme disparu, se déchirent à belles dents.

Au fil de plus de 500 pages qui tiennent en haleine, le lecteur voit se réveiller les morts et les fantômes d’un autre temps : Michel Debré, Olivier Guichard, Jean de Lipkowski, Yves Guéna, Roger Frey, Maurice Couve de Murville, Pierre Messmer, Michel Jobert,…

Aux avants-postes, figurent bien sûr Georges Pompidou et Jacques Chirac.

Les notes prises par Jean Mauriac témoignent à quel point le premier fut considéré jusqu’à sa mort comme un usurpateur et en quelle piètre estime est tenu le second.

Quant aux deux victimes de Chirac, Jacques Chaban-Delmas et Valéry Giscard d’Estaing, ils sont dépeints sous des couleurs peu flatteuses.

Il en est un qui trouve grâce aux yeux du chroniqueur, mais aussi auteur, de ce jeu de massacre : Raymond Barre, qui confie à Jean Mauriac, après sa défaite aux présidentielles de 1988, « Je savais, en me présentant à l’élection, par où je devrais passer… Eh bien, je me suis trompé ! Tout est encore plus abject que je l’aurais imaginé ! »

Pour autant, et même si des convictions divergeant de celles de Jean Mauriac peuvent trouver agaçants ses jugements sans concession, « L’après de Gaulle » reste un document exceptionnel et un témoignage irremplaçable sur cette époque révolue.



Au fil de la lecture, quelques notations donnent le ton de l’ouvrage :

« A chaque voyage, dans l’avion de retour, se souvient Jean Mauriac, le Général me faisait appeler, débarrassait le siège voisin des journaux qui l’encombraient, me priait de m’asseoir à ses côtés et me parlait longuement. J’ai toujours été stupéfait de son ton direct, de sa franchise un peu brutale, de ses jugements à l’emporte-pièce, des secrets qu’il me livrait… » Voilà pour camper le personnage dont Alain Peyrefitte se demandait si les meilleures dépêches n’étaient pas celles qu’il ne s’était jamais autorisé à écrire, « les dépêches impossibles, les dépêches rentrées. »

Ce sont les dépêches impossibles, écrites entre 1969 et 1989, qui sont publiées dans « L’après de Gaulle ».

Jean Mauriac est le fils de François Mauriac. Voilà ce que le Général de Gaulle écrit à sa mère, le 1er septembre 1970, alors que le grand écrivain vient de s’éteindre :

« Son souffle s’est arrêté. C’est un grand froid qui nous saisit. Qu’il s’agisse de Dieu, de l’Homme, ou de la France, ou de leur œuvre commune que sont la pensée, l’action et l’art, son magnifique talent savait, grâce à l’écrit, atteindre et remuer le fond des âmes, et cela d’une telle manière que nul ne reviendra jamais sur l’admiration ressentie.
Quant à moi, je lui voue une reconnaissance extrême pour m’avoir si souvent enchanté, pour être un des plus beaux fleurons de la couronne de notre pays, pour m’avoir honoré et aidé, dans mon effort national, de son ardente adhésion, de sa généreuse amitié, de son immuable fidélité. Ce concours m’aura été sans prix…
»

Quelle magnifique oraison ! Et Jean Mauriac de conclure ce passage d’une plume étreinte d’une émotion où se mêlent l’admiration pour le Général et la piété filiale : « Que le général de Gaulle n’a-t-il dit cela à François Mauriac vivant ! »

Le 23 novembre 1976, c’est au tour d’André Malraux de rendre son dernier soupir. La légende, ou les faits avérés – mais qu’importe dès lors qu’il s’agit de Malraux – rapporte que ses dernières paroles à Sophie de Vilmorin à son chevet furent : « C’est une interminable corvée… » Jean Mauriac décrit, avec un talent d’écrivain digne du nom prestigieux qu’il porte, le salon bleu de la demeure des Vilmorin, à Verrières, où ses proches en petit nombre veillent Malraux.

« Quel mort connut jamais pareil décor ? Malraux était là au milieu de son « musée réel » : un tableau d’André Masson à qui il confia jadis la décoration du plafond de l’Odéon, ; et aussi six têtes gréco-bouddhistes, la plus grande baptisée « Génie aux fleurs », et cet oiseau japonais « Haniwa » en terre cuite, qui, tous, semblaient regarder de leurs yeux morts. Dans le clair-obscur du salon, à distance du lit mortuaire, les visiteurs demeuraient immobiles et silencieux. Pas un mot échangé, seul peut-être le « chuchotement de la mort » dont Malraux parlait dans Lazare. Ce n’était pas Malraux trépassé qu’on offrait aux regards. C’était Malraux mort dont « la mort ne se confondait pas avec son trépas ». Et certains, en le voyant pour la dernière fois, se souvenait qu’il avait souvent cité l’interrogation de son père juste avant son suicide : « Et qui sait ce que nous trouverons après la mort ? »
(…)
Le cœur battant, la gorge serrée, immobiles, silencieux, les amis et les admirateurs d’André – comme jadis, il y a six ans, ceux du général de Gaulle à La Boisserie – contemplaient cette table sur laquelle Malraux écrivait, travaillait, comme s’ils voulaient s’en imprégner à jamais.
»

Encore une mort, mais le gaullisme est-il autre chose aujourd’hui qu’une prestigieuse nécropole : « Yvonne de Gaulle a quitté ce monde comme elle a vécu : dans le silence et l’effacement. » (8 novembre 1979)

« L’après de Gaulle » est un livre exceptionnel pour ceux qui aiment la politique, l’histoire et la littérature

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