mercredi 28 février 2007

Notes de lecture sur Jean-François Revel

Jean-François Revel est décédé le 30 avril 2006, à l'âge de 82 ans. Dans "La Montagne" du 5 mai 2006, j'avais écrit ceci : "Le libéralisme doit beaucoup à Jean-François Revel qui vient de s’éteindre le week-end dernier à l’âge de 82 ans. Dans ces mêmes colonnes, j’ai souvent eu l’occasion d’évoquer la pensée et l’œuvre de l’académicien et de souligner l’importance de sa place dans le paysage intellectuel français. A la fois philosophe, écrivain et journaliste, Revel était l’interprète d’une pensée anti-conformiste en France : celle de la droite libérale et anti-communiste. Dès la fin des années 50, son premier livre « Pourquoi des philosophes ? » pourfendait avec la même alacrité à la fois le marxisme, Lacan et Heidegger. Tout au long de sa carrière, qui le conduisit aussi à collaborer à l’Express et au Point, Jean-François Revel dénonça la pensée unique, les petites comme les grandes hypocrisies d’une intelligentsia française n’étant pas parvenue à faire le deuil du communisme. Son dernier ouvrage, « L’obsession anti-américaine », est paru en 2002. A peine éteinte, la voix de Revel nous manque déjà." Je n'en change pas une virgule. Et la lecture de "Pour Jean-François Revel" de Pierre Boncenne (Plon), publié l'année dernière, conforte dans cette conviction.
Cet hiver, l'excellente revue "Commentaire", fondée par Raymond Aron, dresse un passionnant et émouvant tombeau à la mémoire de Revel, dont les pierres sont apportées par les témoignages de quelques-uns de ses amis de vie et de pensée. On y retrouve entre autres Simon Leys, Max Gallo, Philippe Meyer, Pierre Nora, Mario Vargas-Llosa et, lui aussi maintenant disparu, Jean-François Deniau.
Me vient alors l'envie de partager quelques notes de lecture :

"Avec lui disparaît le dernier des libéraux français du XXème siècle, dans la lignée d'Elie Halévy et de Raymond Aron. Tous trois furent confrontés aux grandes guerres et aux idéologies qui dévastèrent le XXème siècle, d'une violence inégalée du fait de la mobilisation des formidables moyens de la société industrielle au service de l'avilissement des hommes et de leur extermination. Tous trois, issus des rangs de la gauche, se convertirent au libéralisme pour préserver la démocratie, sous la pression de l'histoire et par l'exercice de la raison critique. Tous trois laissent une oeuvre immense, placée sous le double signe de la philosophie et de l'histoire, du travail scientifique et du combat antitotalitaire." (Nicolas Baverez)

Dans le même article, intitulé "L'esthète, le combattant et le philosophe", Baverez voit le parcours intellectuel de Revel fondé sur quatre convictions majeures : la force des idées et de la pensée, le primat et la puissance de la liberté, la raison critique et, enfin, la traque impitoyable du mensonge et de l'erreur.

Alain Besançon, pour sa part, apporte un émouvant témoignage à partir d'un souvenir de bloody mary pris dans le bar d'un grand hôtel de Washington, à l'occasion d'un colloque, dans les années quatre-vingt. Besançon dépeint un Revel aux couleurs de la bonté, de l'amour de la liberté et de la vérité, de la précision.

Enzo Bettiza entend encore Revel lui dire, en plein mai 68 : "Vous les entendez, ces jeunes gens aisés, en bas ? Ils imaginent la révolution, ils ne font que l'imaginer et la rêver, car ils savent parfaitement qu'ici, en Occident, en 1968, après une révolution aussi complexe que la Révolution française et après les terribles échecs de la Révolution russe, il n'est plus possible de faire la révolution. Les barricades de papier mâché de ces fils à papa sont la preuve par neuf qu'aucune révolution authentique n'est plus réalisable ni concevable dans le monde occidental. Le terme psychodrame, tellement à la mode aujourd'hui, n'est qu'un euphémisme rhétorique pour ne pas dire impuissance révolutionnaire."

Philippe Meyer, après nous avoir, comme d'autres, décrit un Revel amateur d'agapes, trouve du sens à ce que dans son anthologie de la poésie française, Jean-François Revel n'ait retenu de Boileau que deux vers : "Le moment où je parle est déjà loin de moi." et "Mes défauts, désormais, sont mes seuls ennemis..."

A lire donc absolument.

Le scénario centriste

Le scénario centriste. C’est celui qui taraude désormais tous les esprits, à droite comme à gauche. Sans compter ceux, fiévreux, des « Bédouins » du Béarnais. C’est de ce nom de guerre que François Bayrou baptise celles et ceux qui ne le quittent pas et lui sont fidèles depuis les pires des mauvais jours qu’il ait eu à affronter.
Du point de vue de l’analyse électorale, pour que l’aventure centriste aille plus loin, il n’est que deux scénarios : celui de 1969 et celui de 1995. Il y a trente-huit ans, le second tour de la présidentielle opposa, on s’en rappelle, le gaulliste Georges Pompidou au centriste Alain Poher. A cela, on donnera deux raisons principales. La première est que Poher était président de la République par intérim, à la suite de la démission du général de Gaulle. La seconde est que le candidat de la SFIO, Gaston Defferre, fit un score dérisoire (5 %), talonné par Michel Rocard (3%) et surclassé par le communiste Jacques Duclos (21 %). Les conditions de ce scrutin sont-elles réunies ? Peut-être en ce sens où Ségolène Royal pourrait fort bien tomber au niveau du score de Duclos (ce qui serait très largement supérieur à celui de Jospin en 2002). Dans cette hypothèse, un second tour opposant Nicolas Sarkozy à François Bayrou est plausible. Il y a douze ans, le troisième homme du scrutin au début de l’année, Jacques Chirac, crédité de 14 % des intentions de votes en novembre 1994, finit la course en tête en mai. Pour cela, il lui fallut doubler en février ou mars le favori de la droite, Edouard Balladur. Le premier tour plaça en tête Lionel Jospin (23 %), suivi de Chirac (21 %) devançant Balladur (19 %) d’une courte tête. Pour qu’un tel scénario se reproduise, il faudrait un effondrement des intentions de vote en faveur de Nicolas Sarkozy, doublé d’une forte augmentation de celles favorisant François Bayrou. Cet exploit fut possible à Jacques Chirac car à 14 % d’intentions de votes, il était à son plus bas historique (il avait obtenu respectivement 18 et 20 % aux premiers tours de 1981 et 1988). A 15 % dans les sondages, Bayrou est d’ores et déjà à son plus haut historique puisqu’il n’a obtenu que moins de 7 % en 2002. En ce sens, au terme de l’analyse électorale, un second tour opposant François Bayrou à Ségolène Royal est peu probable.En toute hypothèse, le pouvoir de séduction que le leader centriste semble exercer sur une fraction de l’électorat repose sur une double illusion. D’une part, il fonde son argumentation sur le fait que la « Grande Coalition » à l’allemande a été souhaitée par ses acteurs. Or cela est faux. En effet si les sociaux-démocrates et les chrétiens-démocrates gouvernent ensemble, c’est seulement parce que les électeurs allemands n’ont donné de majorité parlementaire ni aux uns ni aux autres. Le SPD et la CDU ont donc dû composer avec cette indécision aggravée par un mode de scrutin qui donne la part belle à la proportionnelle. D’autre part, Bayrou assure que ce type de rassemblement des bonnes volontés est un gage de certitude que les réformes nécessaires au pays seront menées dans l’harmonie et la paix sociale. Or cela aussi est faux. Dans un pays où l’élection présidentielle et les législatives qui la suivront un mois après se tiennent au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, ce système relève de la cohabitation. L’exemple des trois précédentes cohabitations démontre que des réformes ne sont possibles que dans la très faible marge de manœuvre que laisse le bras de fer inévitable entre les cohabitants. De plus, quel consensus imaginer entre PS, UDF et UMP sur la réforme des régimes spéciaux de retraite, l’adaptation des 35 heures ou l’évolution de la fiscalité ? Une présidence Bayrou serait synonyme de cinq années d’immobilisme. Sans compter que s’il était capable de réaliser son pari politique, François Bayrou serait rapidement confronté au fait qu’un gouvernement de rassemblement des partis de gouvernement sous sa férule n’offrirait aux mécontents, inévitables en démocratie, que le choix entre les extrêmes, la rue, voire la violence. Inquiétante perspective.