jeudi 27 décembre 2007

Hommage à Julien Gracq

Loin de tous ces fracas qui troublent la traditionnelle trêve des confiseurs, un immense écrivain vient de s’éteindre. A 97 ans, Julien Gracq s’en est allé aussi discrètement qu’il a vécu. C’est une perte considérable tant son œuvre porte l’éloquent témoignage de la marque indélébile que cet auteur laisse dans l’histoire de la littérature française.



Sa disparition, discrète, est à la mesure du souci d’effacement qui fut le sien, lui qui vivait retiré de toute mondanité dans son petit village de Saint-Florent-le-Vieil, dans le Maine-et-Loire.

Au sujet de Julien Gracq, beaucoup de choses vont être dites et écrites dans les prochaines semaines. Je forme le vœu que ces hommages donnent à beaucoup d’entre vous le désir de lire un ou plusieurs de ses livres. Même si cela relève du poncif, il faut dire que Gracq était le dernier survivant d’un siècle exceptionnel, le dernier des grands classiques du XXème siècle qui vit Gide, Camus, Mauriac, Bernanos, Malraux et tant d’autres. Avec sa disparition, doit-on en conclure qu’il n’y aura plus de grand écrivain en France, symptôme d’une déliquescence de la culture française comme le titrait un grand hebdomadaire américain avant les Fêtes ? Ce serait aller un peu vite en besogne. De ce point de vue-là, le XXIème siècle n’a peut-être tout simplement pas encore commencé. Du reste, qu’est-ce que la place d’un écrivain dans la postérité ? Gracq lui-même, dans « Lettrines », ne se le figurait qu’avec peine : « Personne, sans doute, n’écrit réellement pour la postérité (dont il n’est au pouvoir de personne, en 1964, de deviner quelle figure elle pourra bien prendre, ne fût-ce que dans quelques années). Je ne crois pas non plus que la postérité soit pour l’écrivain une "illusion commode" – je crois qu’il en use, plutôt, sans y croire vraiment, comme d’un artifice de procédure pour maintenir son procès ouvert – un procès qu’il ne peut envisager de perdre : ainsi Jeanne d’Arc en appelait au pape et Luther au concile : sans excès de conviction, m’a-t-il toujours semblé. La vérité est qu’il y a probablement dans l’écrivain, à certains moments privilégiés où il tourne vers ce qu’il fait, un regard qui lui paraît naïvement intemporel, un fou qui sait, qui a raison contre tous les autres, présents ou futurs, et à qui la postérité même apparaît pour le juger sans justification suffisante. La postérité, avec ses goûts et ses jugements, ce n’est après tout que la littérature militante de demain – lui, dans ses moments, il est sur un autre plan : il s’intègre d’emblée à la littérature triomphante. »




Julien Gracq a publié dix-huit ouvrages, toujours chez le même éditeur José Corti. En 1951, pour le « Rivage des Syrtes », il obtient le Prix Goncourt qu’il refuse, écœuré par un certain milieu mondain intellectuel qu'il caricature dans son pamphlet « Littérature à l'estomac ».

A son sujet, Claude Roy a écrit ceci : « Les romans qui ont donné à Gracq sa notoriété sont de beaux vaisseaux fantômes amarrés à la terre par un promeneur solitaire, les rêveries d’un flâneur de la nature dont l’art subtil est de nous faire croire à ses contes en les imprégnant de la brume qui baigne un littoral, de l’odeur d’herbe fanée des prairies de l’été, de la rumeur du vent qui fait bruire la forêt et des ininventables détails de la naturelle nature. Gracq appartient à cette précieuse espèce des écrivains qui écrivent les livres qu’ils ont envie de lire. »

Le plus bel hommage qu’on puisse rendre à un écrivain, c’est de le lire.

mercredi 26 décembre 2007

Vincent Bolloré : mieux que René Bousquet !

Je me suis ouvert, dans ces mêmes colonnes, de mes profondes réticences à l’égard des inclinations « bling-bling » du président de la République, au risque de surprendre, voire de décevoir quelques-uns. Mais en ces temps troublés où il est facile de laisser croire que tout se vaut, il est nécessaire de se fixer une ligne de conduite et de demeurer fidèle à ses valeurs.

Encourant le reproche d'être paradoxal, je m’étonne de lire certaines réactions aux conditions dans lesquelles se déroulent en Egypte les vacances de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni.




Quel mal y a-t-il à emprunter un jet appartenant à un homme d’affaires ? Etait-ce mieux quand l’antépénultième chef de l’Etat, François Mitterrand réveillonnait au pays des Pharaons avec les moyens de la République ou qu’il logeait maîtresse en fille adultérine dans un palais national ? A tout prendre, et n’en déplaise à Monsieur Montebourg, je juge moins choquant d’être ami avec Vincent Bolloré qu’avec René Bousquet !

vendredi 21 décembre 2007

Une faute de goût

J’aime bien Monsieur Sarkozy. J’ai même, chacun le sait ici, voté pour lui au printemps dernier, au terme d’une campagne électorale à l’empathie de laquelle je me suis laissé aller. Pour cela, j’étais convaincu qu’il était l’homme idoine. En effet, ses rivaux les plus sérieux étaient une personne sur les compétences de laquelle les doutes les plus sérieux pouvaient être formés, Madame Royal, et un monsieur dont l’ambition personnelle est à ce point démesurée qu’elle atteint les rivages douteux du mysticisme autocentré, Monsieur Bayrou. Dans son propre camp, Monsieur Sarkozy n’avait que Monsieur de Villepin pour le contester sérieusement. C’est dire...




Depuis son élection, le président de la République a manifesté de belles qualités : beaucoup d’allant, une grande détermination, le souci de tenir la plupart de ses promesses de campagne. La composition de son gouvernement laisse un peu plus à désirer. Si le Premier ministre, François Fillon, est assurément un homme de très grande valeur dont les Français découvriront probablement après coup les éminentes qualités, je reste beaucoup plus sceptique sur cette soudaine inclination pour l’ouverture. Surtout quand elle semble devoir nous conduire à porter sur un pavois des individus tels que Messieurs Lang ou Dray dont j’espère bien qu’ils resteront chez eux.




Monsieur Sarkozy a été élu pour faire des choses. Il en fait et c’est très bien. Pour cela, il rencontrera toujours la faveur de ceux qui l’ont placé là où il se trouve. Mais il devrait faire preuve de plus de retenue dans son comportement. Déjà, les quelques jours sur un yacht de luxe, au lendemain de son élection, avaient constitué aux yeux de beaucoup une faute de goût indéniable. Mais il ne lui en avait pas été tenu rigueur. D’une part pour la simple et bonne raison qu’il n’avait pas encore été investi de ses nouvelles fonctions ; parce que, d’autre part, cela n’était qu’un péché véniel à mettre sur le compte de l’euphorie du moment.
En revanche, la dilection manifeste qu’il affiche pour la « starification » de la fonction n’est pas, disons-le tout net, franchement convenable. Il est permis d’attendre d’un président de la République qu’il incarne sa magistrature suprême et l’image de la France avec ce je ne sais quoi de dignité et d’élégance qui sont la marque des véritables grands de ce monde. Etre leur égal ou leur semblable ne consiste pas à mettre ses pas dans ceux des vedettes du show-business.
Je n’ai rien contre Mademoiselle Bruni. Elle est indéniablement belle et talentueuse. Que Nicolas Sarkozy entretienne une liaison avec elle ne nous regarde pas et ne devrait intéresser personne. Que cette relation soit mise en scène, offerte au bon peuple, qu’elle donne lieu à force quolibets, à des étalages indécents sur les précédentes fréquentations de la belle Italienne et que l’on s’en goberge au comptoir de tous les cafés du commerce me navre.

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A fortiori, qu’au lendemain de ces étalages assez vulgaires, et dont le plan média était parfaitement maîtrisé par l’Elysée, que Nicolas Sarkozy se rende au Vatican pour recevoir symboliquement des mains du Saint-Père la charge de Chanoine d’honneur de la basilique Saint-Jean de Latran, relève de la faute de goût et de l’absence de discernement.

A la veille des fêtes de Noël, je vous souhaite de tout cœur de belles fêtes de Noël, dans la joie et, si vous avez cette chance, en famille.

jeudi 13 décembre 2007

Yves de Kerdrel dans Le Figaro : "Ubu roi et Alice au pays des merveilles"

Chroniqueur et éditorialiste dans les colonnes du Figaro mais aussi aux Echos ou sur BFM, Yves de Kerdrel est aussi membre de la Commission Attali chargée par le président de la République de formuler des propositions en vue de « libérer la croissance » française.

Dans Le Figaro du 11 décembre dernier, il apporte une contribution remarquable au débat sur le pouvoir d’achat qui, à juste titre, anime l’opinion publique française. Il est vrai que, sous l’effet conjugué d’une reprise de l’inflation grandement dissimulée par des indicateurs officiels tronqués mais réellement ressentie par les ménages, d’un renchérissement du coût de l’énergie et du logement allant de pair avec un gel global des salaires – mis à part de simples « glissements » - et essentiellement dû au passage aux 35 heures il y a dix ans, les Français ont le sentiment de vivre moins bien qu’auparavant et redoutent des lendemains dont ils n’espèrent plus grand chose.

Le gouvernement, à la tête d’un Etat qui n’en peut mais, dont le président de la République indique que ses « caisses sont vides » et que le Premier ministre dit en « faillite », tente très maladroitement de répondre aux attentes populaires. Bien sûr, il ne faut rien attendre ou presque du train de mesures annoncées il y a deux semaines par Nicolas Sarkozy. Tout simplement parce que, ne lui en déplaise, ce n’est pas à l’Etat de décréter la croissance ou le pouvoir d’achat. Tout au plus peut-il favoriser la création de richesses dans le pays et veiller à une répartition plus équitable de celles-ci. En ne voulant pas décevoir les Français, en se refusant à leur avouer son impuissance à les satisfaire à court terme, le président et ses ministres entretiennent une illusion et courent le risque d’avoir à faire face à une déception immense.



C’est dans ce débat que la chronique au Figaro d’Yves de Kerdrel est éclairante. « La nation s’est posée d’emblée comme la garante du pouvoir d’achat. Et aucun chef de l’État n’a eu le courage de dire que tel Ubu, le roi était nu, et que le pouvoir d’achat, c’était uniquement l’affaire de chacun. Bien sûr l’État pouvait y mettre un peu du sien en diminuant les impôts ou en allégeant certaines charges. Mais au lieu de dire la vérité, c’est-à-dire que le pouvoir d’achat, c’est uniquement une question de création de richesses, puis de juste répartition de richesses, et qu’en dehors de cela un ménage n’a pas à dépenser plus qu’il ne reçoit, l’État a continué d’entretenir la confusion. (…) En mélangeant des mesures catégorielles, des mesures sociales qui doivent encore être approuvées branche par branche et entreprise par entreprise, et puis une sorte de retour à une économie administrée, où les loyers sont encadrés, et où les grandes surfaces sont censées rendre au consommateur le fruit des marges excessives qu’elles encaissent depuis dix ans, voilà donc le problème du pouvoir d’achat réglé. Là ce n’est plus Ubu roi, mais Alice au pays des merveilles, puisqu’on distribue du pouvoir d’achat sans créer de richesses nouvelles. Ce qui signifie que quelqu’un ou quelques-uns payent et qui ne devraient pas être mis à contribution. Mais au fond peu importe… puisque les enquêtes d’opinion l’ont montré, toutes ces mesures sont largement approuvées. Les Français ont été élevés au lait nourricier d’un État encore florissant. Dès qu’il y a un problème quotidien, que ce soit celui des chiens méchants, de la hausse du prix du fioul, ou du poids des cartables, ils se tournent invariablement vers l’État, comme si seule la responsabilité collective pouvait être impliquée. Et la République compassionnelle se met en marche avec son cortège de déclarations, de projets de loi et de déplacements ministériels. »
Voilà magistralement décrit le mal français dans toute son étendue. Il n’est pas près d’être guéri !

lundi 10 décembre 2007

Philippe Claudel, Charles Dantzig, Zoé Valdés : impressions contrastées

Dans une précédente chronique, j’avais fait référence au dernier roman de Philippe Claudel, « Le rapport de Brodeck » (Stock). Je veux y revenir plus complètement cette semaine tant ce livre est de ceux qui m’ont vraiment profondément marqué ces derniers mois. Il y a tout d’abord, chez Claudel, une écriture qui est celle d’un authentique écrivain qui cisèle une langue de belle facture. J’aime quand un auteur la pratique avec cet amour des mots et de la grammaire qui sont le socle de notre civilisation. « La nuit avait jeté son manteau sur le village comme un roulier sa cape sur les restes de braises d’un feu de chemin. » Ou encore, « Je me souviens d’avoir pensé que les yeux n’ont pas d’âge, et que l’on meurt avec ses yeux d’enfant, toujours, ses yeux qui un jour se sont ouverts sur le monde et ne l’ont plus lâché. »




Le roman se situe à une époque incertaine, dans un lieu incertain lui aussi. Les patois évoqués rappellent l’Europe centrale, l’horreur dont il est question tout au long du livre nous parle de la Shoah sans jamais la citer. Ce que nous dit ici Claudel ressortit à l’intemporel et au récurrent. En tout temps et en tout lieu, l’homme peut être bon comme mauvais, lâche souvent, sauvé par l’amour parfois. Il nous parle aussi des crimes collectifs, de la mauvaise conscience et de la culpabilité. On ne ressort pas indemne de la lecture du « Rapport de Brodeck » mais le malaise n’efface pas l’éblouissement devant le talent de l’auteur qui jamais ne cède ni à la vulgarité ni à l’exhibitionnisme pourtant à la mode. Et il est plaisant de voir un écrivain qui pourrait avoir tout d’un classique rencontrer le succès. C’est un signe que la littérature française dispose encore de beaux jours devant elle.

En revanche, je dois à l’honnêteté de dire un peu de mal d’un écrivain dont je ne devrais dire que du bien, d’autant plus qu’il est Tarbais. Au demeurant, foin de retenue tant dans son « Dictionnaire égoïste de la littérature française », Charles Dantzig écrit de vilaines choses sur la ville dont il est originaire. Son « Je m’appelle François » (Grasset), paru cette saison, m’est tombé des mains… d’ennui. A force de vouloir trop en faire, certains écrivains m’agacent et me lassent. Ce fut son cas. Tant pis. Mais je vous avoue que je n’aime pas ne pas aimer un livre, c’est comme une promesse non tenue.




« L’éternité de l’instant » de Zoé Valdés (Gallimard) est au contraire une véritable merveille. La poétesse, romancière et scénariste cubaine, qui vit à Paris depuis qu’elle est interdite de séjour dans son pays, a publié cette année le récit délicat, troublant et sensuel des origines de sa propre famille. De la Chine d’avant Mao à Cuba d’après Castro, ce roman nous emmène loin, très loin. « Même le voyage le plus long commence par un seul pas. (…) Ce moment dura une seconde de grande perturbation, mais aussi de grand courage et d’intensité. Et cette seconde dure encore dans mon âme, elle est arrivée jusqu’à aujourd’hui. C’est l’éternité de cet instant qui me maintient vivant. » Nous devons la version française à Albert Bensoussan, le traducteur de Mario Vargas-Llosa également.




J’aime l’idée que vous offrirez peut-être un de ces livres, même celui avec lequel je me suis ennuyé. Il faut offrir des livres, c’est ce qui nous sauve de la barbarie.

vendredi 7 décembre 2007

Un métier à risques...

Ce n'est guère l'usage ici mais, pour une fois, je vous propose une vidéo un peu idiote mais tellement drôle... Comment la trouvez-vous ?

mardi 20 novembre 2007

"Voleurs de feu : moments de grâce dans la littérature française", sous la direction de Jean-Pierre Guéno

Alors que sont distribués les prix littéraires de la saison, que s’approchent les fêtes de fin d’année, il est grand temps de penser aux ouvrages que l’on appelle communément les « beaux-livres » et qui enrichissent nos bibliothèques. On trouve dans cette catégorie toute une théorie d’albums de photographies, de catalogues d’expositions, de livres d’art ou de voyage. Cette semaine, je voudrais vous donner l’envie de lire et d’offrir le magnifique ouvrage intitulé « Voleurs de feu » et que publie Flammarion, en collaboration avec Radio France. Réalisé sous la direction de Jean-Pierre Guéno, historien et éditeur, ce livre somptueux regroupe quatre-vingt textes de la littérature française, chacun accompagné d’une notice sur l’auteur et de la reproduction de son manuscrit original.

Rassemblés autour de cinq thèmes, « Vivre », « Etre », « Aimer », « Voir », « Perdre », « Trouver », ces « moments de grâce dans la littérature française » offre une promenade tour à tour savoureuse, émouvante ou édifiante de la culture dans ce qu’elle offre de plus beau. Pascal, Voltaire, Chateaubriand, Hugo, Flaubert, Baudelaire, Maupassant, Zola, Proust, Claudel, Aragon, Camus, Céline, Prévert, Yourcenar, Duras, Enthoven… « autant de fulgurances qui immortalisent l’instant de la création. » Dans sa correspondance passionnée avec Louise Colet, Flaubert écrit à sa maîtresse et confidente que « c’est une délicieuse chose que d’écrire. » C’est aussi une bien belle chose que de frotter son âme à celle de ces créateurs dont un des auteurs du livre, Pascal Marchetti-Leca, nous rappelle la dimension prométhéenne. « Voleurs d’un feu auquel on se consume avec délice, voleurs de cendres qui se déploient en étincelles de rédemption, tous ont ouvert un chemin. »




Et nous les suivons, pauvres mortels que nous sommes, sur ces chemins pavés de mots, de phrases et de strophes. Je ne résiste pas au désir de cette si belle description de Malraux par Louise de Vilmorin : « André a toujours un doigt pointé vers le ciel pour essayer d’attraper un fil de la barbe de Dieu ! » Attraper un fil de la barbe de Dieu !, voilà ce que tous ces voleurs de feu ne cessent de poursuivre comme but dans toutes leurs entreprises de création littéraire. Même les plus agnostiques d’entre eux ne peuvent échapper à la démonstration à l’évidence de laquelle ils ont contribué : l’art en général et le plus abstrait d’entre eux, la littérature, nous renvoient l’image d’une création d’où le sacré ne peut être exclu. Je ne sais si Jean-Pierre Guéno et son équipe rejoindraient mon interprétation spirituelle de la littérature mais la préface du directeur des Editions de Radio France me conforte dans ma foi : « Ces textes qui foudroient parlent de vie ou de mort, d’amour ou de révolte, d’espérance ou de désespoir, de grâce ou de détresse. Ils nous rapprochent un peu des étoiles. (…) Qu’entend-on par fulguration ? Un mouvement, un frisson simultané de l’âme, du cœur et de l’esprit, un moment de grâce ou de disgrâce, qui pourrait rester sans voix, qui s’empare d’un écrivain et s’exprime pourtant à travers ses mots. » Il y a quelque chose de surhumain et d’irréductible dans l’acte d’écrire qui s’impose à l’écrivain et qui le transcende. Cet album, « Voleurs de feu », en apporte le plus magnifique et la plus fascinante illustration. Ce livre jouit d’une présentation très soignée, digne des plus grands éloges, qui en fait un cadeau de très haute tenue pour amateurs éclairés.

vendredi 9 novembre 2007

François Fillon sur Europe 1

A un journaliste qui, dans les coulisses d’Europe 1 , interrogeait François Fillon pour savoir s’il ne lui arrivait pas quelques fois d’avoir lui-même envie d’aller partout où va le président de la République, le Premier ministre répond, dans un sourire : « La réponse est double. Une fois sur deux, j’ai envie d’y aller moi-même et c’est trop tard ! Ce qui était le cas des pêcheurs. Et puis souvent le problème c’est que lui ne veut pas. »



Il faut tirer deux enseignements de cette réponse matutinale du chef du gouvernement. Le premier tient à la disparition de plus en plus flagrante de tout espace de confidentialité dans le monde médiatique. Le Premier ministre vient un matin répondre aux questions du journaliste vedette d’une radio périphérique et, l’après-midi même, sur le site Internet de cette station, une vidéo dévoile ses confidences « off ». Le second ressortit à la difficulté énorme que doit représenter le fait d’être le Premier ministre de Nicolas Sarkozy. Seul François Fillon pouvait l’être. D’une part parce que, durant la campagne et dans son propre livre, il a théorisé l’effacement de la fonction. D’autre part parce qu’il a cette forme de détachement et de fausse désinvolture, dans une apparente modestie distanciée, très smart dans le style et qui est le plus souvent la marque des véritables intelligences.




L’attelage de l’exécutif français pourrait être balzacien. Il ressemble en fait à un sommet américano-britannique. Nicolas Sarkozy arbore l’allant et la voracité de parvenu d’un businessman américain tandis que François Fillon campe le personnage d’un gentleman britannique. C’est Berkeley contre Eton.

Et les Français, qui se disent anti-américains alors qu’ils consomment de plus en plus de films et de séries télévisées made in USA, et dont ils rêvent d’adopter le mode de vie, a-do-rent littéralement leur « french yankee » !


Sa dernière sortie au Tchad en fait le « Jack Bauer » de la diplomatie alors que François Fillon semble aller prendre le thé chez Miss Marple !

Le dernier sondage est éloquent. Alors que Fillon dévisse, Sarkozy serait élu avec 55 % des voix si les élections présidentielles avaient lieu aujourd’hui. Il améliore son score au premier comme au second tour, selon le sondage publié le week-end dernier par le Journal du Dimanche, six mois après l’élection présidentielle.

Mais il reste le plus dur à accomplir : il ne s’agit pas de sauver en 24 heures le monde d’une attaque terroriste comme le fait généralement Jack Bauer. Nous sommes dans la « vraie vie » : il faut redresser la France. Nicolas Sarkozy dispose de deux atouts formidables : il a l’énergie nécessaire pour tenter de tout régler en une seule journée et, en fait, il lui reste quatre ans et demi pour y parvenir.

vendredi 2 novembre 2007

Simone Veil : "une vie"

Jamais je ne vous ai ici entretenu d’un livre que je n’eusse point lu préalablement. Alors, comme la force d’une règle ne se juge que par sa capacité à être transgressée, je vais enfreindre cet interdit que ma conscience oppose généralement aux tentations de la paresse. Mais ici foin de facilité car, une fois l’ouvrage lu, je n’imagine pas renoncer à en faire la chronique dans ces colonnes tant sa parution me touche avant même de l’avoir découvert.

Aux marches de ses quatre-vingt ans, Simone Veil vient de publier chez Stock ses mémoires, intitulés « Une vie ».




Simone Veil est probablement la personnalité politique française la plus aimée et la plus respectée dans le pays. Elle le doit à une vie exemplaire faite de courage, de dignité et d’indéfectible élégance morale. Madame Veil est une grande dame et grâce doit être rendue à Valéry Giscard d’Estaing de lui avoir donné l’occasion de servir la France et d’avoir su si bien incarner une haute et exigeante conception de l’engagement public. Cet exemple est d’autant plus éloquent que la mode semble être désormais à la pensée confuse et au verbe approximatif, sésames maintenant suffisants pour accéder au ministère…




Au moment où La Montagne sera dans vos kiosques ou vos boîtes à lettres, « Une vie » de Simone Veil sera sur la table de votre libraire. Empressez-vous d’en faire l’emplette. Je n’en ai lu, comme vous peut-être, que quelques bonnes feuilles dans la presse magazine et j’ai écouté Madame Veil répondre à quelques interviews. La dernière, sur l’antenne d’Europe 1, au micro de Jean-Pierre Elkabbach, était émouvante. Dans les premières minutes de l’entretien, elle évoquait son arrestation, la déportation à Drancy puis Auschwitz-Birkenau, l’arrivée et la survie dans ce camp de la mort. Nous avons tous lu de tels témoignages (Primo Levi, « Si c’est un homme », Semprun « L’écriture ou la vie », me viennent à l’esprit). Aucun de ceux-là ne peut nous laisser indifférent. Ils nous rappellent combien la vie, qui est un don, peut parfois devenir tout simplement inhumaine par la rage destructrice qui anime certains. Nous sommes alors tous les débiteurs de ceux qui souffrent et endurent de telles choses. Y compris ceux d’entre nous qui ne sommes coupables de rien parce que nous sommes tous responsables de ce que devient le monde, à notre infime échelle de responsabilité individuelle.

Voilà aussi pourquoi j’ai envie de lire « Une vie » de Simone Veil et pourquoi je vous invite à le faire. J’y reviendrai dans quelques semaines.

J’évoquerai aussi le très beau livre de Philippe Claudel, « Le rapport de Brobeck » (Stock). On le cite souvent comme susceptible de recevoir un des prestigieux prix littéraires de l’automne. Ce serait mérité tant Philippe Claudel a signé un roman bouleversant, dérangeant et tellement bien écrit.

Interview de Simone Veil sur Europe 1

lundi 22 octobre 2007

François-Xavier Brunet : "Un songe d'or et de fumée"

Un homme fuit sa vie pour mieux renaître à une autre. Etienne Santini en fait peu à peu sa devise, lui qui devient François Meursault au fil des pages, criminel traqué malgré lui puis écrivain... malgré lui. Ce récit commence comme un polar ancré dans le sud-ouest, mêlant souvenirs érotiques et intrigue complexe. Mais il se transforme peu à peu en réflexion sur la littérature et l’inspiration, le livre devient « le parcours d’un possédé » qui finit par se rendre à la raison. Au creux des pages, des figures et des courbes de femmes apparaissent, en rêve ou en réalité. Et Nuria, la femme au double visage, mystérieuse et dominatrice, revêt son habit de muse moderne, libre et exigeante. Laissez-vous porter par le parfum d’aventure et de plaisir, une aventure de la chair et des mots.



Le point de vue de l'éditeur :Auteur à suivre. D'une écriture précise et fluide, élégante sans être savante, l'auteur entraîne le lecteur dans les méandres d'une intrigue complexe où la haute finance croise les arcanes du pouvoir. Le héros narrateur, un universitaire toulousain auteur de polars érotiques à ses heures, se retrouve ainsi comme en prise directe avec ces univers qu'il a déclinés au long de ses romans...

Pour commander ce livre : cliquez ici.

vendredi 19 octobre 2007

Régimes spéciaux : baroud d'honneur ?

Le mouvement de grève engagé par les différents syndicats des principales sociétés publiques, plus particulièrement dans les transports en commun de voyageurs par le rail ou des grandes agglomérations, sera-t-il le baroud d’honneur d’une caste statutaire qui, seule au monde, refuse de prendre sa part du changement ? L’histoire immédiate ne tardera pas à nous le dire. Pour autant, il y a fort peu à parier que le scénario de 1995 se renouvelle à l’identique.



En effet, depuis douze ans, bien de l’eau a coulé sous les ponts de France et de Navarre. Les Français ont depuis lors parfaitement compris que l’évolution économique et démographique impose de prendre des dispositions rigoureuses pour avoir une chance de préserver le système de retraites par répartition. L’adoption, sans trop de douleurs de la loi Fillon en 2003, a très largement contribué à cette prise de conscience. De plus, de rapports en déclarations publiques, nos concitoyens ont très nettement pris conscience que l’Etat-providence hérité des Trente Glorieuses vit très largement au-dessus de ses moyens. A cet égard, la récente embardée corse de François Fillon sur la « faillite » n’a choqué que ceux qui estiment avoir des comptes à rendre des gestions passées et qui aimeraient bien s’en exonérer.



Par ailleurs, la situation politique n’est pas comparable à celle qui présida à la reculade de 1995. D’abord, le soutien populaire n’est pas du côté des grévistes et cela n’est pas rien. S’il devait s’inscrire dans la durée, ce mouvement social se heurterait à l’hostilité des Français, et notamment de ceux qui sont pris en otage. Ensuite, Nicolas Sarkozy n’est pas Jacques Chirac. Non seulement en raison des tempéraments dissemblables des deux hommes, mais aussi parce que le premier a été élu en annonçant cette mesure et que le second avait été élu en prônant une politique radicalement différente de celle qu’il tenta de mener à partir de l’automne 1995. Enfin, l’actuel président ne donne pas dans les atermoiements comme son prédécesseur qui ne détestait rien autant que le risque d’être contesté dans la rue.

La France a trop longtemps souffert de l’incapacité de ses dirigeants à accepter le risque de l’impopularité au nom de l’intérêt général. Attendons Nicolas Sarkozy au pied du mur de ses engagements.

A noter cependant que le degré de blocage des transports publics cette fin de semaine permettra de mesurer l’ardente nécessité d’instaurer un véritable service minimum en cas de grève dans les services publics et combien les dispositions prises cet été sont insuffisantes.

lundi 15 octobre 2007

Immigration : la guerre des mots

La guerre des mots. Ou plutôt des gros mots. C’est peu de dire que le débat politique vole en rase-mottes. A l’origine de cette débauche de bêtise et de vulgarité, l’amendement Mariani au projet de loi sur l’immigration. Ce texte législatif vise notamment à diminuer «l’immigration familiale» en la rendant plus difficile. Les candidats au regroupement seront en effet soumis à un certain nombre de critères, parmi lesquels la maîtrise de la langue, le niveau de ressources de l’accueillant ou la signature d’un «contrat d’accueil et d’intégration». L’amendement présenté par le député UMP Thierry Mariani propose la possibilité pour un candidat au regroupement familial de pratiquer des tests ADN pour prouver ses liens familiaux. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat d’autant plus que cela se pratique dans une douzaine de pays de l’Union européenne.

Il eût été loisible que s’ouvrît un débat sur l’opportunité de cette mesure, sur le rapport coût politique sur avantages réels d’une mesure symbolique. Mais le climat est trop détestable pour le permettre. Les ornithorynques de la gauche, relayés par les aigris de la droite, ont eu recours à un registre poisseux pour disqualifier leurs adversaires et les accuser d’atteintes aux libertés publiques, quand ce n’est pas à la dignité humaine ! En hurlant au retour de Vichy, les protestataires interdisent tout débat dès lors que celui qui n’est pas d’accord avec eux est forcément un rejeton du nazisme. Cela s’appelle un procès stalinien !

Alors, comme à l’accoutumée dans ce genre de circonstance excessive, les paroles dépassent la mesure du raisonnable. N’en pouvant mais, François Fillon, au Conseil national de l’UMP, estime que les polémiques entourant cet amendement ont « grossi jusqu’au ridicule un détail » pour masquer finalement « l’essentiel » du projet. Dès lors, personne ne s’est intéressé à ce que le Premier ministre pouvait bien considérer comme essentiel puisqu’il avait osé (quelle honte !) prononcer un des mots les plus courants de la langue française que Jean-Marie Le Pen avait utilisé à mauvais escient il y a vingt ans et plus. Le bannissement du discours public de tout le vocabulaire, même le plus usuel, du leader du FN ouvre des perspectives insondables. Je propose que des lexicologues se penchent sans tarder sur tout ce qu’à pu dire Le Pen depuis cinquante ans qu’il fait de la politique pour que l’on sache les rares mots qu’il est encore possible d’employer.

Pour achever d’écœurer le chaland, Fadela Amara, secrétaire d’Etat d’ouverture, a qualifié de « dégueulasse d’instrumentaliser l’immigration avec les tests ADN. » Chacun appréciera un propos qui souligne la distinction naturelle de cette sommité ministérielle. A noter également l’échange ordurier entre Henri Guaino et Bernard-Henri Lévy : à l’écrivain en chemise blanche qui a déclaré que « le mec qui écrit les discours de Sarkozy est un raciste d’inspiration maurrassienne », le conseiller spécial du président de la République a répliqué en disant « Ce petit con prétentieux ne m’intéresse pas. Des crétins y en a toujours eu. »

L’élégance n’est décidément pas à la mode cet automne.

lundi 8 octobre 2007

Un Monet victime d'un acte de vandalisme au musée d'Orsay

"Alors que la Nuit blanche battait son plein à Paris, dans la nuit de samedi à dimanche, un groupe de personnes a forcé une porte du musée d’Orsay, alors fermé, et a dégradé "Le pont d'Argenteuil", un des paysages préféré de Monet. Le tableau, réalisé en 1874, a été "sévèrement endommagé", selon le ministère de la Culture, qui parle d’une déchirure "sur au moins 10 centimètres"". (source Le Figaro)



En marge d'une manifestation festive et culturelle, que des jeunes gens, dont l'état d'ébriété n'excuse rien, songent à s'introduire dans un musée pour s'y rendre coupables de déprédations sur une oeuvre d'art, fait froid dans le dos.

Vers un retour d'une forme de barbarie ?

mercredi 3 octobre 2007

Turquie : "Manuels scolaires : détournements et contournements" (Etienne Copeaux)

Etienne Copeaux est professeur d’histoire dans le secondaire mais aussi chercheur associé au GREMMO (Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient) à l’université de Lyon. Chargé également de cours à l’université de Galatasaray à Istanbul, il est un spécialiste de la Turquie dont il a notamment analysé l’instrumentalisation de l’histoire aux fins de satisfaire aux objectifs politiques du nationalisme turc.

L’article intitulé « Manuels scolaires : détournements et contournements » est présenté par son auteur comme une contribution à la critique du « dévoiement de l’histoire par le nationalisme. »

Tout procède de la fondation de la République turque au lendemain de l’effondrement de l’empire ottoman et de la bataille des Dardanelles. Mustapha Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne, ne se contente pas de la fondation d’un nouvel Etat ; il entreprend de graver son histoire dans le marbre de son idéologie nationaliste. Cette « réforme de l’histoire », plus connue sous le nom des « thèses d’histoire », est accompagnée de son corollaire institutionnel : un monopole d’Etat sur la recherche historique. Nous sommes en 1931 et l’institution publique en charge d’écrire l’histoire publie une collection de manuels scolaires qui formatent véritablement les esprits et la culture des jeunes Turcs. Cette « réforme de l’histoire » est approuvée et confirmée par un Congrès d’histoire turque qui se tient en 1932 et dont Etienne Copeaux souligne « l’esprit presque stalinien. »




Sans retracer ici ni les grandes étapes historiques de ce récit officiel du passé turc ni les fondements traditionnels de celui-ci, différents facteurs justifient cette attitude dogmatique. Ils sont intimement liés aux conditions historiques de la fondation du nouvel Etat turc. Il se construit comme étant d’abord musulman, par opposition aux Grecs et aux Arméniens. Puis l’Etat laïque est proclamé pour substituer à l’islam l’idée d’une race turque supérieure fondée aux confins de l’Asie. Confrontée au « philhellénisme » occidental et à la nécessité de reconstruire un idéal national, après l’effondrement de l’Empire et l’occupation de l’ouest de l’Anatolie par les Grecs, la Turquie de la « réforme historique » de 1931 tourne le dos à l’européocentrisme pour privilégier un passé plus asiatique dont le récit, au sujet duquel E. Copeaux reconnaît qu’il n’est pas seulement fait de fantaisie, relève tout de même de l’idéologie voire de la mythologie politique. L’ambition de Mustapha Kemal est d’offrir à son peuple un passé glorieux pour nourrir la fierté nationale. Mais la dérive est toujours proche de ce type d’attitude et, ici, la limite est vite trouvée car le récit historique officiel ne s’étend pas au-delà de 1938, c’est-à-dire au-delà de la mort d’Atatürk lui-même. Etienne Copeaux écrit : « Ce qui n’était qu’une circonstance des années trente est devenu téléologie ; l’histoire des Turcs aboutit à Atatürk et s’arrête avec lui. »

Dans la deuxième moitié du XXème siècle, deux évolutions apparaissent. L’une, en réaction, ouvre la voie à une approche « humaniste » qui réserve une meilleure part à l’Antiquité classique. Mais elle fera long feu. L’autre, en contre-réaction, établit ce que l’auteur de l’article étudié qualifie de « synthèse turco-islamique. » L’islam est « la » religion des Turcs et constitue l’élément dominant de leur personnalité nationale. Mais l’idéologie kémaliste n’est pas abandonnée : c’est la supériorité fondamentale des Turcs qui sauve leur religion de la décadence. Cette synthèse doctrinale est servie par le coup d’Etat militaire de 1980 qui l’utilise comme outil de résistance au communisme. Le kémalisme demeure donc et se retrouve dans une historiographie à finalité idéologique fondée sur des événements et des héros consensuels. La figure du grand homme de l’histoire turque contemporaine est la référence constante du discours proposé à la mémoire collective nationale. Il est présenté ou cité à travers cinq périodes fondatrices : les migrations de l’Asie intérieure, la civilisation de l’Orkhan, les premiers sultanats turco-musulmans, la bataille de Mantzikert, celle des Dardanelles. Il est intéressant de noter ici que ce récit, qualifié par E. Copeaux de « récit ethnique », se lit d’est en ouest et offre une grille d’interprétation de l’inclination turque pour l’Europe, étant entendu qu’elle est considérée comme procédant dans sa modernité de l’influence turque. A ce « récit ethnique », celui de la « famille », l’auteur agrège celui de la « belle-famille », la Turquie actuelle et anatolienne, et celui de la « famille d’adoption », le monde arabo-musulman. L’un ou l’autre de ces passés est mis en exergue en fonction des besoins politiques du moment. Cela se retrouve sur la cartographie officielle, évoquée dans cet article, qui illustre ces récits historiques faits à la nation turque et qui porte, dans ses propres représentations, la marque idéologique dominante.




Enfin, Etienne Copeaux illustre comment, de nos jours, ce consensus sur l’histoire officielle de la Turquie est mis en cause de façon plus ou moins directe, même si la répression et la pression politique et sociale limitent les marges de manœuvre pour la pensée plus indépendante. Groupes de réflexion, rencontres et publications, dont très peu de travaux et d’ouvrages sont traduits à l’étranger, témoignent d’une vie intellectuelle que le kémalisme et le nationalisme n’ont pas complètement « calcifiée. » L’impact du discours officiel est de plus en plus battu en brèche par la réalité du monde et de l’environnement dans lesquels évolue la Turquie. L’auteur formule des vœux, sinon des préconisations, pour un nouvel enseignement de l’histoire dont il estime qu’il devrait beaucoup plus porter sur l’histoire de l’Anatolie elle-même qui porte l’empreinte de la diversité des influences qu’elle a subies depuis l’Antiquité ; sur l’histoire des Turcs et de leur lente migration vers l’ouest ; sur la formation de l’Empire ottoman et de sa partie européenne ; sur la place des autres nations tels les Kurdes. Enfin, il considère que l’enseignement de l’histoire contemporaine devrait s’affranchir de l’interdit traditionnel d’explorer l’après-1938.

En conclusion de son article, Etienne Copeaux replace ses recherches dans leur propre contexte historique, celui de la chute de l’empire soviétique et de l’ « effervescence » qui s’empara de la Turquie devant la perspective d’une possible zone d’influence pour elle grâce à l’indépendance des républiques d’Asie centrale. Mais, constate-t-il, « la société turque est loin des Turcs de l’extérieur. » Il regrette aussi d’avoir « longtemps sous-estimé le facteur grec et balkanique dans les représentations turques du monde. »

Le défi lancé aux Turcs est de faire la part de l’héritage culturel du kémalisme, de s’en affranchir pour mieux surmonter le réflexe identitaire et se mettre en conformité avec leur volonté d’ouverture à l’Europe.

Mais, dans le contexte qui voit la pérennisation d’un islam politique, avec Recep Tayip Erdogan, ouvrant peut-être un nouveau cycle de l’histoire turque, ce défi sera-t-il relevé au prix d’une nouvelle « réforme de l’histoire » ? De cela, Etienne Copeaux ne dit rien, ne le pouvant guère au moment où il écrit cet article mais il est difficile d’éluder cette réflexion.

samedi 29 septembre 2007

Guerre et faillite

J’ai gardé, des années que je passai au collège, un fidèle camarade qui jamais ne me déçut. Bien qu’il soit un objet, j’ai avec lui une telle intimité que je m’abandonne à son égard aux facilités de l’anthropomorphisme. Car il faut avouer que non seulement je le considère très parlant mais au surplus il répond fort à propos à beaucoup de mes interrogations. Foin de circonlocutions dilatoires ! je fais mon « coming out » : j’aime mon dictionnaire. Oh, il n’est pas un Robert, ni grand ni petit, pas plus que l’imposant et considérable Littré. Il s’agit du Petit Larousse que je reçus en cadeau de mes parents pour mon entrée en sixième. Je le consulte souvent pour y vérifier l’orthographe exacte d’un mot – j’avoue pratiquer cette « science des ânes » – ou le bon usage d’un substantif peu ou mal utilisé. Pourquoi vous entretiens-je de cela ? Parce que je me suis vu dans l’obligation de recourir aux services de l’ami Larousse pour relire la définition des deux mots qui font actuellement le plus scandale : guerre et faillite. Cela ressemble à du Tolstoï pastiché mais n’est en réalité que le dernier cheval de bataille des pratiquants de la pensée unique.




« Guerre : n. f. Epreuve de force entre Etats, entre peuples, entre partis. »
« Faillite : n.f. Etat d’un débiteur qui ne peut plus payer ses créanciers (être en faillite ; faire faillite) // Echec complet d’une entreprise (la faillite d’une politique)
»




Un Etat fanatique, théocratique, armant et finançant depuis son instauration une kyrielle de mouvements terroristes, s’il parvient à se doter de l’arme atomique, doit être considéré avec lucidité. Dans le contexte d’instabilité du Proche et du Moyen Orients, l’Iran, s’il parvient à ses fins, risque de provoquer une course aux armes de destruction massive qui aboutira nécessairement à une guerre où sera fait usage de l’arme nucléaire. Les pressions internationales exercées sur ce pays pour l’empêcher d’atteindre ses buts relèvent bien d’une forme d’épreuve de force entre Etats. Bernard Kouchner a eu le courage de le dire.




Un Etat qui, depuis plus de trente ans, ne connaît que des exercices budgétaires déficitaires et dont la dette cumulée avec celles des régimes sociaux et des collectivités locales dépasse les deux mille milliards d’euros ne peut être sérieusement qualifié autrement. Les politiques successives qui ont conduit à ce résultat par leur seul souci de perpétuer le statu quo ont bien échoué de façon incontestable. Il faut le dire avec franchise à tous les représentants d’intérêts catégoriels qui pratiquent le consumérisme d’aides et de services publics avec la plus parfaite inconscience. François Fillon a eu le courage de le dire.

Avant qu’il ne soit Premier ministre, François Fillon avait publié un livre intitulé « La France peut supporter la vérité ». Apparemment, à en juger aux cris d’orfraies entendus, il n’est pas certain qu’elle le puisse. Mais, rassurons-nous, ce ne sont pas forcément ceux qui s’offusquent qui font l’opinion.

lundi 24 septembre 2007

De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace !

Nicolas Sarkozy est conscient de l’immense responsabilité qui pèse sur ses épaules. Par son élection, par l’espoir qu’il a fait naître tant par la campagne volontaire qu’il a menée que par le nouveau style qu’il a imprimé à la Présidence, le chef de l’Etat n’a pas droit à l’erreur. Les Français sont prêts à tout lui pardonner : sa suractivité, le casting des gens qui l’entourent, les fredaines de sa vie conjugale, son goût du luxe et de l’ostentatoire, ses manières de jet-setter parvenu,… Ceux qui le soutiennent pour avoir décomplexé la droite et réussi à gagner une élection comme celle-là en défendant des idées conservatrices et libérales lui ont même accordé le bénéfice du doute en acceptant la louchée d’huile de foie de morue que constitue l’ouverture politique voulue par le locataire de l’Elysée. En revanche, personne ne lui accordera la moindre circonstance atténuante s’il ne fait pas tout ce qu’il a annoncé qu’il ferait ou s’il échoue dans ses entreprises.

(source AFP)

La rentrée parlementaire s’annonce donc chaude et fiévreuse. Pouvoir d’achat, croissance, immigration, retraites, fonction publique, éducation, institutions : les chantiers ouverts ne manquent pas et les défis sociaux et politiques non plus. Mais, maintenant, il n’est plus question de reculer. Déjà, cet été, le nouveau pouvoir exécutif a semblé barguigner : le service minimum dans les transports publics en cas de grève ressemble à tout sauf à un service minimum ; la réduction du nombre de fonctionnaires n’est pas au niveau annoncé ; la déductibilité des intérêts d’emprunts sur la résidence principale était visiblement mal ficelée car on avait juste ignoré le sacro-saint principe de non-rétroactivité, Christine Lagarde s’est faite tancer pour avoir prononcé le mot « rigueur », pourtant honnête ; François Fillon a agacé en haut lieu pour avoir semblé forcer la main de celui qui ne le considère qu’en « collaborateur ». Bref, et ceci n’est guère blâmable, la saison des réglages et des essais sur piste est maintenant révolue. L’heure de la course va sonner. Le drapeau à damier va s’abaisser. Depuis plus de vingt-cinq ans, c’est à dire les mandats de Mitterrand et de Chirac, la France stagne, voire régresse, sous l’empire de la dictature du statu-quo. Alors, de l’audace, encore de l’audace et toujours de l’audace : c’est cela qu’attendent les Français et ils ne supporteront pas que leur attente soit déçue. Plus que les réformes, ils craignent par-dessus tout l’immobilisme.

Ségolène Royal, pour sa part, est la meilleure caricature d’elle-même. Par sa réponse aux attaques de Lionel Jospin, « Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. », elle contribue à entretenir cette image qui la rend si ridicule aux yeux des Français et tellement insupportable à ceux de ses camarades socialistes. Mieux que les Guignols !

dimanche 23 septembre 2007

Notes de lecture sur Alain Besançon : "Grammaire des révolutions"

Martin Malia est un historien américain, spécialiste de l’URSS, mort en 2004. Diplômé de Harvard, il était également francophile, normalien de surcroît. Il mena sa carrière d’enseignant essentiellement à Berkeley mais il donna également des cours à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Soviétologue libéral, classé parmi les historiens conservateurs, Malia fut un analyste précis et un commentateur important de la chute de l’empire soviétique.

Dans « Commentaire », revue à laquelle il collabora souvent, Alain Besançon, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, fait la recension de l’ouvrage posthume de Martin Malia, « History’s locomotives, Revolutions and the making of the modern world », dont il estime qu’il est probablement son chef d’œuvre. L’article de Besançon, intitulé « Grammaire des révolutions » (« Commentaire » n°117, printemps 2007), présente et discute l’analyse de Malia sur les mécanismes historiques et politiques des révolutions.

Pour l’universitaire américain, le concept de révolution, abordé dans sa réalité historique, constitue un phénomène exclusivement européen. C’est l’un des aspects fondamentaux de cette théorie des révolutions : celles-ci sont entendues dans leur acception de renversement de l’Etat central, principalement de l’Etat royal. « Ce n’est pas un phénomène social, mais fondamentalement politique et « idéologique », encore que jusqu’aux temps modernes le mot « spirituel » ou « religieux » conviendrait mieux », écrit Alain Besançon.

Pour Martin Malia, le phénomène révolutionnaire n’est pas pour autant un processus homogène dans le temps et dans l’espace. Il se propage d’ouest en est en changeant de nature. A cet égard, 1848 est, pour lui, une date-clé. Selon Besançon, « à un point tournant, que Martin Malia situe vers 1848, le sens du mot révolution subit une inflexion. A la composante politique, se joignent l’idéologie, l’utopie, le projet de refonte radicale de toute la société. »

Malia, dans ce livre ultime, construit un véritable paradigme de la révolution, constitué d’un idéal-type, mètre-étalon en quelque sorte, à l’aune duquel il juge de la qualité et de l’importance des révolutions qu’il examine.

Cet idéal-type se situe au XVème siècle. « La première révolution, note A. Besançon, serait donc la Révolution hussite, qui culmina vers 1420 en Bohême. » C’est la prédication schismatique de Jean Hus et ses conséquences qui donnent un tableau des étapes fondamentales d’un processus révolutionnaire, qui ne peut exister en tant que tel que s’il a pour théâtre une Nation dotée d’un Etat et d’une capitale.

Au commencement, il y a une réforme modérée de l’Etat à l’instigation de la société civile. Au stade suivant, « l’appel aux masses populaires entraîne la radicalisation » ; puis le front révolutionnaire se lézarde et le mouvement est écrasé. Ce qui est assez constant, relève A. Besançon en lisant M. Malia, c’est « qu’il reste quelque chose qui correspond à la première étape du mouvement. (…) Il reste aussi une légende, qui servira de mémoire héroïque aux futures révolutions. »

S’il n’est de pensée construite que grammaticale, Alain Besançon excelle dans cette matière en discutant le travail de Martin Malia. Il décline cette grammaire en décrivant tour à tour la Réforme allemande (qui «s’arrête en route à cause de la variable suivante : il n’existe pas d’Etat unitaire de la Nation allemande. ») ; l’offensive protestante en Europe sous sa forme calviniste depuis Genève jusqu’en Amérique, en passant par la Pologne, la Hongrie, la Hollande et l’Angleterre. Cette dernière échoue en France dans les Guerres de Religions et le massacre de la Saint Barthélemy. Si, écrit Alain Besançon, « l’Eglise de la théocratie genevoise est oligarchique, aristocratique, patricienne, en miroir de la République elle-même », en France, « le résultat de cette révolution manquée fut l’élévation de l’Etat royal et le renforcement de l’absolutisme – préparant ainsi à terme le déluge de 1789. »

Dans sa leçon de « Grammaire des révolutions », l’historien français, à la lumière de son maître américain, évoque ensuite la révolution hollandaise qui, au XVIème siècle, donna naissance au premier Etat fédéral et libéral ; puis il décline la révolution anglaise. A son sujet, Alain Besançon écrit ceci : « ce qui fait l’originalité fondamentale de la révolution anglaise par rapport à la nôtre, c’est qu’elle ne se pensa pas comme une révolution. Elle en eut le rythme : l’euphorie initiale, la polarisation dramatique, la dictature militaire. Elle en eut le résultat : la substitution à l’ancienne société d’ordres et à la souveraineté sacrée du roi du pouvoir de la société civile consciente d’elle-même. Mais elle se déroula dans un climat religieux et dans la persuasion qu’elle ne faisait que restaurer l’ordre traditionnel des libertés anglaises que la tentative absolutiste avait voulu violer. »

Ensuite, la révolution américaine – « Cette révolution qui ne dévora pas ses enfants.» - aboutit à un nouvel Etat : une République fédérale moderne, à l’échelle d’un continent, à l’exemplarité universelle.

C’est alors qu’intervient la révolution française dans l’histoire du monde occidental. Alain Besançon souligne ici, en premier lieu, le rôle du jansénisme dans la montée pré-révolutionnaire. « L’absolutisme royal dépassa cependant son acmé au tournant du siècle alors que le jansénisme politico-religieux continuait son travail de sape, dont l’historiographie contemporaine commence à mesurer l’effet catastrophique sur l’idée monarchique et sur l’Eglise catholique. »

Le déroulement de la révolution française est scandé en séquences assez proches de l’idéal type hussite décrit par Malia. Du reste, note Besançon, « tous les résultats durables de la Révolution française sont acquis entre mai et décembre 1789. » Et ils ne sont pas des moindres : abolition des privilèges, égalité civile, égalité devant l’impôt, élections, institutions représentatives, dissolution des corporations, réorganisation départementale, système métrique,… Si le processus s’emballa puis s’effondra, c’est – de façon classique selon M. Malia – en raison du schisme religieux, de la résistance de la Cour et du roi, de l’appel des Girondins et des Jacobins aux masses populaires parisiennes.

La « Grande Révolution » marque également le début d’un glissement idéologique. Alain Besançon le décrit ainsi : « Contrairement à la Révolution anglaise, contrairement à la Révolution américaine (au moins jusqu’à la Guerre de Sécession) dont le thème était essentiellement la liberté, la passion dominante de la Révolution française est l’égalité. »

Cette question idéologique dominera par la suite tout le XIXème siècle et toute l’Europe. La révolution de 1848 aura pour caractéristique de troubler toute l’Europe mais aussi d’échouer partout, vaincue par les conservateurs. 1848 est néanmoins, selon Martin Malia, l’année charnière de tous les processus révolutionnaires. Au libéralisme politique hérité du XVIIème siècle, vient se substituer une idéologie portée par deux concepts nouveaux : le nationalisme et le socialisme. En France, 1848 aboutit au Second Empire ; en Allemagne, au compromis politique et institutionnel de Bismarck. Cependant, relève A. Besançon, « la vielle taupe creuse et elle s’appelle le marxisme. Marx comme les autres socialistes est un théoricien complètement déconnecté du mouvement ouvrier. (…) Le prolétariat est moins une classe qu’une notion théologique, le messie rédempteur de l’humanité aliénée. » Ce paradigme est fondé sur la conviction que les mécanismes du capitalisme lui-même ne peuvent que le conduire à sa propre auto-destruction (par la fameuse « baisse tendancielle des taux de profit », notamment) et sur la promotion de la nécessité de l’abolition de la propriété privée. Le marxisme conduit alors au léninisme et à sa domination de la révolution russe qui, par le pouvoir de l’utopie, gèle le processus historique au stade de la radicalisation, interdisant toute évolution de type thermidorien pendant plus de soixante-dix ans.

Cette « Grammaire des révolutions », fondée sur la discussion des thèses de Martin Malia dans son livre posthume, appelle, selon Alain Besançon qui en a fait la recension dans « Commentaire », diverses objections et observations. Ceux-ci portent en premier lieu sur la pertinence du concept central de révolution trop ethnocentré sur l’Europe et décrivant mal, de ce fait, ce qui se produisit par exemple en Chine ; sur l’absence de la révolution hitlérienne dans l’analyse de Malia ; ou sur l’appréciation du marxisme dont l’historien américain semble considérer qu’il porte dès l’origine les germes du léninisme.

En outre, Alain Besançon pointe du doigt la façon dont le langage et la déraison peuvent se substituer à l’idéologie. « Ce phénomène de langage révolutionnaire, comme logomachie délirante, comme test apte à désigner les partisans et les adversaires, n’est pas abordé par Malia. » De plus, le commentateur souligne l’importance du fait religieux : « le phénomène révolutionnaire naît exactement contemporain de la grande crise du christianisme latin qui s’ouvre au XIVème siècle, après l’écroulement de la synthèse thomiste et de l’autorité romaine. Hus, Luther, Calvin lui donnent tour à tour ses couleurs. La Réforme n’est pas un affaiblissement de la ferveur chrétienne, mais au contraire une protestation contre l’Eglise romaine trop tiède, « corrompe », une immense vague de piété et de zèle religieux. »

Et d’ajouter plus loin : « le facteur religieux compte moins, il est vrai, à partir de la Révolution française. C’est parce que la crise générale du Christianisme a commencé précocement en France, pour la raison que ni la formule calviniste ni la formule tridentine, également rejetées, n’avaient pu, sous les Bourbons, stabiliser la vie religieuse. L’irréligion se répand en pays catholique, dès la fin du XVIIème siècle, un siècle en avance sur les pays protestants. »

Alain Besançon souligne, de la même façon, l’importance du fait national dans les processus révolutionnaires : « il faut en dire autant du rapport entre révolution et nation. Le sentiment national est un mystère ancien. Il est une passion plus forte que la plus forte passion politique. Il n’est pas de révolution qui n’ait mêlé à ses buts politiques des passions nationales. »

Enfin, l’essayiste français achève sa discussion de l’ouvrage de l’historien américain par cette considération sur le hasard : « Malia démontre le « logos », le « ratio » du processus révolutionnaire. Mais justement tout n’est pas logos et ratio. Il faut laisser ouverte la part de l’alea, car si on l’élimine on risque de tomber dans un déterminisme historique et de fausser quelque peu en conséquence le déroulement vrai des événements. »

Je me plais, pour ma part, à conclure ces quelques notes sur l’article d’Alain Besançon dans « Commentaire » par cette belle citation de l’auteur :

« A la guerre du Péloponnèse, Thucydide donne une forme générale, qui se modèle sur la forme de la tragédie grecque. En cela, elle devient intelligible. Mais il prend soin de noter que tous les événements dépendent d’un coefficient de chance, de malchance, et que la Fortune est au-dessus des volontés humaines. Le mystère de l’histoire est sauf, et il continue de hanter l’explication rationnelle. Les choses se sont bien passées ainsi. Mais aussi autrement. »

samedi 22 septembre 2007

François-Xavier Brunet: "Un songe d'or et de fumée"

Un homme fuit sa vie pour mieux renaître à une autre. Etienne Santini en fait peu à peu sa devise, lui qui devient François Meursault au fil des pages, criminel traqué malgré lui puis écrivain... malgré lui. Ce récit commence comme un polar ancré dans le sud-ouest, mêlant souvenirs érotiques et intrigue complexe. Mais il se transforme peu à peu en réflexion sur la littérature et l’inspiration, le livre devient « le parcours d’un possédé » qui finit par se rendre à la raison. Au creux des pages, des figures et des courbes de femmes apparaissent, en rêve ou en réalité. Et Nuria, la femme au double visage, mystérieuse et dominatrice, revêt son habit de muse moderne, libre et exigeante. Laissez-vous porter par le parfum d’aventure et de plaisir, une aventure de la chair et des mots.



Le point de vue de l'éditeur :Auteur à suivre. D'une écriture précise et fluide, élégante sans être savante, l'auteur entraîne le lecteur dans les méandres d'une intrigue complexe où la haute finance croise les arcanes du pouvoir. Le héros narrateur, un universitaire toulousain auteur de polars érotiques à ses heures, se retrouve ainsi comme en prise directe avec ces univers qu'il a déclinés au long de ses romans...

Pour commander ce livre : cliquez ici.

vendredi 14 septembre 2007

Yasmina Reza : "L'aube le soir ou la nuit"

Faut-il lire « L’aube le soir ou la nuit » de Yasmina Reza (Flammarion) ? Je crains que l’exercice ne soit guère une source de satisfaction pour ceux qui sacrifieront, comme je l’ai fait, au phénomène de mode de la rentrée littéraire. D’autant que ce dernier mot, littéraire, me paraît superflu tant j’estime ce livre mal écrit.

Que voulez-vous ! Je suis né après Mai 68 mais je suis tout de même de la vieille école. Chez les sœurs de Saint-Joseph, j’ai appris à distinguer la langue parlée de la langue écrite et la fréquentation des grands auteurs, auxquels je ne me mesure qu’avec l’exacte conscience de la misère de ma pratique, m’a suffisamment instruit sur l’intérêt de la construction grammaticale et de la ponctuation pour que je trouve indigeste ce brouet-là.



Pour le reste, le livre de Madame Reza est, à tort, présenté comme un ouvrage consacré à Nicolas Sarkozy. C’est toute l’astuce de l’auteur de l’avoir fait croire, en particulier à l’intéressé lui-même. L’extrait retenu comme texte du prière d’insérer figurant en quatrième de couverture, la troisième personne du pluriel qui y est employé, apportent un cinglant démenti : « Ils jouent gros. C’est ce qui me touche. Ils jouent gros. Ils sont à la fois le joueur et la mise. Ils ont mis eux-même sur le tapis. Ils ne jouent pas leur existence mais, plus grave, l’idée qu’ils s’en sont faite. » Qui sont-ils ? Nicolas Sarkozy et G. Qui est G. ? Celui à qui est dédié « L’aube le soir ou la nuit », qui nous est présenté comme ayant tout aussi bien pu être l’adversaire du candidat élu et avec lequel, semble-t-il, Yasmina Reza a, ou a eu, une histoire. Il se dit que G. est DSK. Voire. Il se comprend aisément que Yasmina écrit sur Nicolas pour comprendre ce qui motive G. Il ne faut jamais confondre le sujet d’un livre avec son personnage. « Les hommes dont je parle vivent dans un monde où les mots ont le poids de l’hélium. A peine lâchés, ils s’envolent et disparaissent de l’avenir. »


(source AFP)

Au fil des pages, émaillées d’évocations de G., Yasmina Reza trousse le portrait, à grands coups de pattes griffues, d’un Sarkozy égocentrique, frivole (Rolex et Prada) et assez inculte (admirateur de Chimène Badi et de Dick Rivers). Elle éclaire son personnage d’une lumière cruelle et satirique où brillent quelques verbatims croquignolets qui font sourire.

Le président de la République est-il vraiment tel qu’elle nous le décrit ? Une campagne électorale est-elle le moment le plus approprié pour percer les ressorts et les mystères d’une personnalité ? Ou, tout simplement, Y. éreinte-elle parfois N. pour régler ses comptes avec G. ? Qu’importe !

Le sujet et les personnages eussent mérité plus d’inspiration chez un tel auteur. A la lire, on se prête à la soupçonner d’avoir un peu bâclé son ouvrage en retranscrivant à la va-vite le contenu de ses carnets pour être au rendez-vous de la rentrée.

Avec « L’aube le soir ou la nuit », on est quand même plus près du Canard Enchaîné que des Mémoires de Saint-Simon.

lundi 10 septembre 2007

Hommage à Raymond Barre

« La France vient de perdre un de ses meilleurs serviteurs. Son action s’inscrivait dans la grande ligne de ceux qui, depuis Colbert, ont construit la prospérité de notre pays. C’était un homme d’Etat qui ne poursuivait aucun objectif personnel, mais qui cherchait à assurer, par une compétence exceptionnelle et un travail acharné, le bien-être de notre pays. Le milieu politique avait du mal à comprendre et à soutenir sa démarche solitaire et désintéressée trop éloignée de ses habitudes, et l’opinion n’a réalisé que tardivement qu’il travaillait en réalité pour elle. » C’est par ces mots que l’ancien président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, a rendu hommage à Raymond Barre, son ancien Premier ministre décédé il y a quelques jours.



A ceux-ci, je voudrais ajouter un souvenir personnel, celui d’un jeune militant du Collectif des Etudiants Libéraux de France, de 19 ans à l’époque, ayant participé activement, à Toulouse, à la campagne présidentielle de Raymond Barre. Je garderai toujours à l’esprit le temps qu’il prit la peine de consacrer aux jeunes, à l’issue de son meeting dans la ville rose, sa disponibilité, son intelligence perçante mais aussi partageuse de son savoir. Nombreux avons-nous été, enfin, à tenter de comprendre l’économie politique grâce à son manuel, publié aux Presses Universitaires de France, et qui restera un grand classique de la littérature universitaire.

Raymond Barre appartenait à cette catégorie d’hommes politiques, qu’on qualifie pour faire simple d’hommes d’Etat, et dont le comportement ressortit à une haut exigence de la morale publique, à une conception élevée du service de la Nation. Cela passe nécessairement par le risque assumé de déplaire, de ne pas mentir et d’avoir le courage d’agir. Pierre Messmer, dans un autre style, qui vient également de s’éteindre, avait lui aussi cette grande classe et cette superbe dignité. Faut-il pour cela être pourvu d’une immense abnégation ou est-ce une forme d’orgueil ? Qu’importe : l’exemple demeure.

Raymond Barre fut un chef de gouvernement que les circonstances ne servirent point : il connut les chocs pétroliers, la fin des Trente Glorieuses et l’incessante guérilla de la bande parlementaire d’un Chirac que Giscard d’Estaing qualifie de famélique et d’affamé de pouvoir dans le dernier tome de ses Mémoires. Pourtant, l’Histoire a d’ores et déjà commencé à rendre justice à Barre qui laisse dans tout le pays le souvenir d’un des meilleurs Premiers ministres de la Vème République.
Dans son livre intitulé « L’après de Gaulle », déjà évoqué dans ces colonnes, Jean Mauriac rapporte ce propos de Raymond Barre dont il a pris note en 1988 : « Je savais, en me présentant à l’élection, par où je devrais passer… Eh bien, je me suis trompé ! Tout est encore plus abject que je l’aurais imaginé ! » Ce n’était pas le dépit du vaincu mais le constat de la bassesse où se complait parfois le débat public. La voix irremplaçable de Raymond Barre manque d’ores et déjà à la France.

vendredi 7 septembre 2007

Réforme des institutions : pour une véritable démocratie libérale

Contribution de François-Xavier Brunet au débat interne de l’UMP sur la réforme des institutions.

Le problème fondamental auquel est soumis tout débat institutionnel en France est l’effacement des principes du libéralisme politique au profit de la mythologie révolutionnaire d’une part, qui a toujours privilégié la passion de l’égalité au détriment du goût de la liberté, et du césarisme, c’est à dire le recours à l’homme providentiel, que l’on retrouve autant dans le bonapartisme que dans le gaullisme.

Il s’en suit ce que l’on pourrait appeler une « déification » de la République et une « réification » de la démocratie. C’est à dire que le principe démocratique n’est plus qu’une chose subalterne comparée à la prégnance de l’Etat républicain, qui peut tout, dont tout procède, et bien sûr de son chef. Peut me chaut que l’organisation de l’Etat soit républicaine ou monarchique, pourvu que les institutions soient démocratiques. Bien sûr, écartons-la d’emblée, pour des raisons historiques et dynastiques, l’idée de restauration monarchique ne se pose plus en France depuis la fin du XIXème siècle. Mais alors, si la République est un fait irréversible, reste entière la question de son organisation.

Au moment où la France engage un débat sur la refonte des institutions, il est essentiel que les libéraux retrouvent des couleurs et la fierté d’être porteurs de l’héritage de Montesquieu, de Constant, de Tocqueville et d’Aron.



Quels principes doivent présider à une réforme institutionnelle ?

Ce sont des principes fondamentaux : le respect du droit des individus, la séparation des pouvoirs et l’autonomie de la société civile à l’égard de l’Etat.

Il s’en suit que l’institution principale d’une démocratie libérale est le Parlement, formé des représentants de la souveraineté nationale, et non pas le chef de l’Etat ; que l’équilibre des pouvoirs doit être respecté par une stricte séparation et une répartition harmonieuse ; qu’enfin la loi doit favoriser l’émergence de corps intermédiaires structurés entre l’Etat central et la nation et privilégier le contrat à la loi pour le règlement des rapports sociaux.



De ce fait, je privilégierai toujours, dans mes choix, le régime parlementaire au régime présidentiel, la fonction de Premier ministre issu de la majorité parlementaire à celle de président de la République dont l’élection au suffrage universel est à mes yeux une hérésie, le régime fédéral à l’Etat unitaire, la limitation du domaine de la loi, enfin. A cet égard, il est essentiel que soit mis fin à l’inflation législative française et à l’inapplication trop fréquente des lois votées par le Parlement en raison de l’absence de publication de décrets ou de circulaires d’application.

Par ailleurs, par satisfaire au mécanisme de la loi sociologique de nécessaire « circulation des élites », décrite par Pareto, je suis favorable à une stricte interdiction de tout cumul de mandats et à une limitation dans le temps à deux mandats successifs, quels qu’ils soient.

S’agissant du Parlement, je crois nécessaire le maintien du bicaméralisme avec une Chambre haute permettant la formation d’une majorité et une Chambre basse permettant l’expression de toutes les sensibilités dans leur plus grande diversité.

En résumé de ce qui précède, je formule le souhait de voir la France se doter d’institutions organisées de la façon suivante :

- un président de la République, élu pour cinq ans, par le Parlement réuni en Congrès, et doté de compétences similaires à celles que furent les siennes sous la IIIème République ;
- un Premier ministre détenteur du véritable pouvoir exécutif et dont la légitimité procède au moins de la majorité à la Chambre haute du Parlement, au mieux de celle des deux Chambres ;
- un Parlement puissant élu au suffrage universel composé d’un Sénat formé au scrutin d’arrondissement majoritaire à deux tours et d’une Assemblée nationale élue à la proportionnelle intégrale ;
- une organisation du territoire de type fédéral sur le modèle des Länder allemands ou des communautés autonomes espagnoles.


Je mesure combien cette vision des choses ne s’inscrit pas dans l’air du temps. Mais rien n’est pire et plus mutilant pour l’esprit que la dictature de la mode et le conformisme de la pensée.

jeudi 6 septembre 2007

Hommage à Luciano Pavarotti

"Il y avait des ténors et il y avait Pavarotti." (Franco Zefirelli)

mardi 4 septembre 2007

François-Xavier Brunet : "Un songe d'or et de fumée"

Un homme fuit sa vie pour mieux renaître à une autre. Etienne Santini en fait peu à peu sa devise, lui qui devient François Meursault au fil des pages, criminel traqué malgré lui puis écrivain... malgré lui. Ce récit commence comme un polar ancré dans le sud-ouest, mêlant souvenirs érotiques et intrigue complexe. Mais il se transforme peu à peu en réflexion sur la littérature et l’inspiration, le livre devient « le parcours d’un possédé » qui finit par se rendre à la raison. Au creux des pages, des figures et des courbes de femmes apparaissent, en rêve ou en réalité. Et Nuria, la femme au double visage, mystérieuse et dominatrice, revêt son habit de muse moderne, libre et exigeante. Laissez-vous porter par le parfum d’aventure et de plaisir, une aventure de la chair et des mots.



Le point de vue de l'éditeur :Auteur à suivre. D'une écriture précise et fluide, élégante sans être savante, l'auteur entraîne le lecteur dans les méandres d'une intrigue complexe où la haute finance croise les arcanes du pouvoir. Le héros narrateur, un universitaire toulousain auteur de polars érotiques à ses heures, se retrouve ainsi comme en prise directe avec ces univers qu'il a déclinés au long de ses romans...

Pour commander ce livre : cliquez ici.

jeudi 30 août 2007

Philippe Raynaud : "Qu'est-ce que le libéralisme ?" (2ème partie)

Dans son analyse pénétrante de la situation du libéralisme dans la culture politique française (in "Commentaire" n°118), le politologue Philippe Raynaud rappelle les trois traits permanents de la tradition libérale : les droits de l’homme, la limitation de la souveraineté, l’autonomie de la société civile. « La meilleure expression de la théorie libérale du contrat social se trouve dans la philosophie politique de Locke. » Le penseur, philosophe et essayiste anglais de la deuxième moitié du XVIème siècle, auteur des « Deux Traités du Gouvernement civil », a développé dans son œuvre une conception de la légitimité du pouvoir fondée sur le respect du droit des individus, de la « Loi naturelle » d’inspiration chrétienne et dont l’expression juridique sera la Déclaration d’indépendance américaine, dont de nombreux aspects figurent dans la Déclaration des Droits de l’Homme française. En ce qui concerne la limitation de la souveraineté par la séparation des pouvoirs, Philippe Raynaud cite abondamment Montesquieu dont la doctrine se fonde non seulement sur l’exemple anglais qu’il avait sous les yeux mais également sur une théorie très classique depuis l’Antiquité grecque et romaine, celle du régime mixte, élaboré notamment par Aristote. L’universitaire parisien écrit ceci : « L’équilibre ou la séparation des pouvoirs est une nécessité interne à la logique libérale. (…) Montesquieu est un des premiers à voir que le ressort politique n’est pas seulement l’agencement des institutions, mais l’équilibre entre les forces politiques qu’on appellera les partis. (…) La séparation des pouvoirs garantit que les droits soient assurés et que la société jouisse d’une certaine indépendance à l’égard du gouvernement et de l’Etat. » Pour que le système politique ait une cohérence et fonctionne de façon efficiente, il convient alors de privilégier un mode d’organisation fondé sur la représentation, c’est à dire s’appuyant sur une « classe politique relativement distincte du reste de la population, même si elle dépend du suffrage universel. » C’est l’apport américain d’une « République représentative », autrement appelée dans ce texte « république commerçante » en référence à Madison. La notion d’autonomie de la société civile induit la dimension économique du libéralisme. Philippe Raynaud cite évidemment Adam Smith et sa théorie de la « main invisible » mais ce qui compte, au yeux des libéraux, c’est d’ « établir des relations relativement harmonieuses entre les individus, si on renonce d’un côté à la force coercitive des l’Etat et de l’autre au type de liens hiérarchiques établis dans les anciennes formes de coopération », c’est à dire les anciennes corporations que connaissait l’Ancien Régime français.

Dans son vaste tableau sur la question libérale, l’auteur pointe également des problèmes permanents dont le premier est l’opposition historique entre idée démocratique et idée libérale que surmontera Tocqueville qu’il oppose dans un passionnant dialogue, finalement pas toujours contradictoire, à Marx mais qui aboutit bien sûr à des interprétations opposées de la démocratie.

Très aronien, ce texte passionnant et dense est à recommander non seulement à ceux sensibles à la théorie libérale mais également à ceux qui la rejettent, parfois sans savoir.