lundi 28 mai 2007

Le premier véritable quinquennat

Les conditions, dans le fond, assez rocambolesques dans lesquelles Jacques Chirac a été réélu en 2002 n’ont pas permis à celui-ci – qui n’en avait probablement pas le goût non plus – de mettre en œuvre concrètement la plus importante des réformes institutionnelles qu’ait connu notre pays depuis 1962. Il s’agit, bien sûr, de la réduction de la durée du mandat présidentiel à 5 ans, adoptée en octobre 2000.

Cette décision a été complétée par celle visant à inverser l’ordre naturel des élections qui eût voulu, en 2002, que les législatives se déroulassent avant les présidentielles. L’inversion des facteurs a créé un cadre structurel favorable à la présidentialisation du régime. Qui plus est, l’aléa conjoncturel est venu s’y greffer en ce sens que la dissolution ratée de 1997 devrait normalement dissuader tout président normalement constitué d’y recourir, sauf circonstances exceptionnelles. Cette faculté risquant donc de tomber en désuétude, nous voilà nantis d’un régime qui voit le président de la République être élu tous les cinq ans, quelques semaines avant un vote de confirmation législatif. C’est à dire que, et la pratique que semble initier Nicolas Sarkozy va dans ce sens, le président n’est plus ce « chef de l’Etat », arbitre, au-dessus de la mêlée, mais bel et bien le véritable chef de l’exécutif et le patron de la majorité parlementaire qui le soutient. Dans ce contexte, que devient le Premier ministre ? Contrairement à une idée reçue, la Constitution du 4 octobre 1958 ne stipule nullement que celui-ci « conduit et détermine la politique de la Nation ». Ce rôle est dévolu au Gouvernement (article 20). Si le Premier ministre « dirige l’action du Gouvernement » (article 21), ce dernier est composé des ministres qui sont nommés par le président de la République (article 8), sur proposition du premier d’entre eux certes, mais c’est bien une prérogative présidentielle que de présider le Conseil des Ministres, de promulguer les lois, d’en demander une nouvelle délibération au Parlement le cas échéant, de nommer aux emplois civils et militaires, d’être le chef des armées, et ainsi de suite. De la sorte, point n’est besoin de changer de Constitution pour instaurer le régime présidentiel. La mixité des institutions gaulliennes reposait, rappelons-le sur la séparation entre les légitimités démocratiques du président de la République et celle de l’Assemblée nationale, dont l’expérience des trois cohabitations a montré qu’elle pouvait être stricte.

En clair, la présidentialisation du régime que nous sommes en train de connaître n’est pas le fait stricto sensu de Nicolas Sarkozy et ne participe aucunement d’une volonté du nouveau président d’accaparer tous les pouvoirs comme lui en fait le procès une opposition en panne de leadership comme d’idées. Le changement de nature de la Vème République a largement été inspiré par Lionel Jospin, quand il était Premier ministre entre 1997 et 2002. Ce qui relève par contre de l’initiative de Nicolas Sarkozy ? La modernisation de l’exercice du pouvoir. Tout pouvoir, pour demeurer légitime et respecté, doit être mis en scène. Le décorum, la solennité des rites participent du grand barnum politique et sont nécessaires à la cohésion nationale. Nicolas Sarkozy et François Fillon, son Premier (ou principal) ministre, mettent en œuvre sous nos yeux – et c’est passionnant à observer – une méthode de travail et de communication moderne, apparemment efficaces et bouleversant les habitudes. Pour autant, ils ne jetteront pas le bébé avec l’eau du bain et, loin de galvauder le pouvoir, ils vont l’adapter aux mœurs modernes. Accrochons-nous, ils ne vont certainement pas cesser de nous surprendre !

vendredi 18 mai 2007

Notes de lectures sur le « Journal secret » du Marquis de Breteuil

Les éditions du Mercure de France, dans la collection « Le Temps retrouvé », ont récemment publié un livre qui est à mes yeux extrêmement précieux. A double titre car il fait appel à deux grands totems de ma vie : la littérature et l’engagement politique dans cette contrée aride en ce sens que sont les Hautes-Pyrénées. Il s’agit du « Journal secret (1886-1889) du Marquis de Breteuil, dans une édition présentée et annotée par Dominique Paoli.



Le préfacier invite le lecteur à pénétrer de plain-pied dans l’univers de celui qui était, au moment où il rédigeait ce journal, le député monarchiste des Hautes-Pyrénées. « Le monde du marquis de Breteuil est tout d’abord celui de la noblesse française, un univers où la naissance et les alliances constituent la base des rapports sociaux. »

Homme politique, influent dans sa coterie et intrigant à ses heures, mondain dans le même temps, on dit que Breteuil inspira à Proust qui le connaissait le personnage du marquis de Bréauté dans « La recherche… ».

En 1886, la France est présidée par Jules Grévy et la société politique est fortement secouée par le scandale de l’affaire des téléphones et celui des décorations distribuées par le gendre du président, le dénommé Wilson qui se livrait par ce biais à un coupable trafic d’influence. Trois ans auparavant, Henri V, comte de Chambord, a disparu sans laisser de postérité à la branche aînée des Bourbons et après avoir laissé échapper la restauration de la monarchie pour un simple drapeau tricolore que le prince ne désirait pas voir flotter sur un trône qui pouvait être rétabli.

Dans ce contexte, Breteuil est l’ami des princes et leur agent politique. Il est intime du comte de Paris, aîné de la branche d’Orléans, mais aussi du prince de Galles (futur Edouard VII) ; il est reçu avec amitié à la cour du tsar Alexandre III (accueil dont le diariste fait une relation précise). La reine Victoria règne encore à Londres, tandis que le vieux kaiser Guillaume meurt lentement à Berlin. A cet égard, le « Journal secret » suit, comme un fil rouge, la lente agonie du premier empereur allemand, l’éphémère montée sur le jeune trône impérial de son fils Frédéric III que la maladie fera régner moins de cent jours en 1888 et, enfin, l’accession au pouvoir de Guillaume II. A travers cette chronique, le lecteur sent poindre la montée vers la guerre de 1914-1918, alors que les plaies de l’humiliation de 1870 ne sont pas refermées.

Le marquis de Breteuil est, au moment où il se saisit de la plume, le tout jeune veuf éploré de Constance de Castelbajac. Le « Journal de Constance de Castelbajac, marquise de Breteuil (1885-1886) » a été publié en 2003 chez Perrin. Si le nom de la marquise est inconnu, celui des personnages qu’elle y croque est familier de l’œuvre proustienne. Chez les Breteuil, on se situe clairement du côté de Guermantes… Le marquis, inconsolable de la perte de son aimée, morte phtisique, prend la suite de sa femme et prétend poursuivre son journal intime et politique.

Il fait là œuvre de piété conjugale mais aussi de mémorialiste d’une époque passionnante. Dans les Hautes-Pyrénées, en 1886, Dominique Cazeaux est député bonapartiste, François Féraud, ancien préfet du département en est le représentant conservateur à la Chambre. C’est à ce moment que Breteuil va se retrouver impliqué dans l’aventure boulangiste.

Georges Ernest Jean-Marie Boulanger, officier général français, né en 1837, mort en 1891, est connu pour avoir ébranlé la Troisième République, porté par un mouvement revanchard qui portera le nom de boulangisme. Il fut un moment considéré par les partisans du comte de Paris comme une opportunité d’abattre la République et il s’en fit l’allié par pur opportunisme.

Dominique Paoli conclut ainsi son introduction au « Journal secret » : « Tous ces personnages font du « Journal secret » d’Henri de Breteuil la passionnante évocation d’une époque où se joue le dernier grand duel entre républicains et partisans de la royauté, dans un monde annonciateur de grands bouleversements de la société française. »

Ce livre, tant par son style littéraire de grande qualité, par la nostalgie languissante qu’il exprime, que par la lente transformation politique et sociale de la France et de l’Europe qu’il dépeint, offre au lecteur attentif est à mes yeux un chaînon indispensable entre les « Mémoires d’outre-tombe » et la « Recherche du temps perdu ». Il faut absolument lire le marquis de Breteuil.

Notes de lectures sur le « Journal secret » du Marquis de Breteuil :


- sur le duc de Bragance, futur souverain du Portugal, qui s’apprête à convoler en noces avec la princesse Amélie, fille du comte de Paris : « Son grand défaut est d’être trop jeune pour épouser une femme aussi sérieuse, à qui il aurait fallu pour compagnon un homme véritable sur le bras duquel elle pût s’appuyer avec confiance, et non un enfant qu’elle a à élever, à corriger et à former. » ;

- parti pour l’Inde avec son frère afin d’enfouir, en courant ce vaste sous-continent, son immense chagrin et son désespoir, Breteuil fait à Bénarès une réflexion qui n’honore pas son discernement : « Je ne puis jamais me défendre de penser à Lourdes quand je suis ici, les pèlerins n’y semblent pas moins croyants et les autels n’y sont pas moins entourés. Mais ce dont je me permets de douter c’est que la vogue de Lourdes dure autant que celle de Bénarès ! » ;

- sur le maréchal de Mac-Mahon, que la maison d’Orléans, comme celle des princes Napoléon auxquels il devait sa carrière, avait regardé avec sympathie accéder au pouvoir républicain que les uns et les autres se plaisaient à n’imaginer qu’intérimaire : « Chacun des partis trouvait une satisfaction dans le choix d e cet hybride ; le champ restait ouvert aux aspirations et aux espérances de tous ; personne ne supposa qu’en croyant gagner du temps, on allait en perdre, et en perdre tant, qu’il ne serait plus possible de la regagner. » ;

- le 31 janvier 1887, toujours en Inde, Breteuil note cette réflexion sur l’état de la France, pénétrante d’actualité alors que nous la lisons pour la première fois, cent-vingt ans après, sur un régime républicain auquel le marquis peinait à se résoudre : « Mais, en réalité, c’est surtout la question intérieure qui me préoccupe en France : elle paraît grosse de surprises, de périls et, peut-être, d’espérances. Il me semble que le danger social s’aggrave, que la République se discrédite de plus en plus, que l’impuissance du gouvernement doit sauter aux yeux de tous, qu’en face du danger extérieur, des souffrances pécuniaires, d’un déficit toujours croissant, de l’impossibilité de sortir de la situation présente, le pays doit finir par prendre peur. » ;

- le 22 juin 1887, à Londres, le Jubilé de la reine Victoria inspire à Breteuil cette analyse : « Ceux qui pensent que, pour les pays libres, la république est le dernier mot du progrès, auraient pu faire des réflexions utiles en présence du spectacle d’hier : le pays le plus libre du monde étalait sa joie d’avoir vécu heureux pendant un demi-siècle, et prouvait qu’un principe indiscutable, même représenté par une femme, est nécessaire au fonctionnement d’un régime vraiment constitutionnel et vraiment libéral, qu’il n’entrave aucun progrès, et qu’il est nécessaire pour défendre les intérêts d’une nation dans les affaires du monde. » ;

- chaque été, le marquis de Breteuil se rend dans les Hautes-Pyrénées pour sa visite annuelle à sa circonscription et à ses électeurs. En 1887, ce voyage aux Pyrénées prend un goût d’amertume, un an après que Constance y eût rendu son dernier souffle, réduit à un filet d’air par une nature phtisique. Est-ce l’effet du chagrin qui rend caustique ? Toujours est-il qu’à Bagnères de Bigorre, qu’il qualifie cruellement de « rendez-vous de tous les provinciaux à prétentions », Breteuil note combien est difficile la vie d’un parlementaire dans sa circonscription : « Il est difficile de se figurer les rencontres qu’on est obligé de subir en se composant un visage aimable, les démarches privées qu’il faut écouter sans broncher, les quémandeurs de toutes sortes qu’on doit éconduire sans les blesser ni les décourager quand on représente un de ces départements où le député est bien plutôt choisi par l’électeur pour être son homme d’affaires que pour représenter ses idées politiques. C’est le petit côté du métier et il est ingrat, je l’affirme. » ;

- ce qu’il y a de plus aimable, chez Breteuil, c’est sa plume où le talent littéraire du diariste et du mémorialiste le dispute à l’œil acéré du portraitiste. Ainsi le croquis d’une demi-mondaine épousée par un riche héritier qu’elle ruine et bafoue : « C’est une grande, superbe fille fraîche et éclatante, sans traits, sans physionomie, mais avec de beaux yeux, de belles dents, de beaux cheveux blonds, un air de beauté triomphante, une tournure de grande dame avec une dégaine de courtisane ! Elle dévisage les hommes et semble s’offrir – d’aucuns prétendent qu’elle le fait sans façon –, elle s’assoit sans préjugés sur tous les usages et toutes les convenances. Elle découche de l’hôtel d’Avaray. On la rencontre en sapin découvert avec celui qui passe pour être son amant ; elle circule à n’importe quel bras sur tous les hippodromes les plus malfamés ; elle parie, emprunte de l’argent, ne le rend jamais et mérite largement sa réputation. Enfin, l’a qui veut, dit-on tout haut, c’est affaire de payer, et le prix baisse à vue d’œil ! » ;

- à Saint-Pétersbourg, au lendemain de Noël 1887, le tsar Alexandre III fait à Breteuil cette confidence désabusée au sujet d’une éventuelle restauration de la monarchie en France : « Personne ne désire plus que moi cette restauration ; (…) mais, hélas, mes vœux ne l’avancent pas ; je crois la France trop avancée pour revenir en arrière ! » ;

- l’année 1888 voit le marquis de Breteuil s’engager dans l’aventure boulangiste qu’il croit pouvoir déstabiliser la République aux fins de rétablissement du Trône. Mais, sur le général Boulanger, il écrit que « l’homme ne m’inspire qu’une confiance très modérée. » : « Me voici passé conspirateur et pour de bon. Ce sera peut-être amusant à certains moments, mais on m’eût bien étonné si l’on m’avait dit, il y a deux ans et même moins, que le général Boulanger nous offrirait ses services et que je les accepterais ! Cela prouve que, en politique, il ne faut détester ni mépriser personne, au moins tant qu’on n’est pas au pouvoir, et, en parlant ainsi aujourd’hui, je confesse d’un coup tous mes emportements ! » ;

- las, le « brav’ général » ne tarde pas à décevoir ses mécènes. Un goût prononcé du lucre, un comportement que Breteuil compare à celui de « Bel Ami » - Maupassant vient alors de publier son roman –, un duel avec Floquet qui ne tourne pas à l’avantage du militaire et, déjà, la conjoncture politique et électorale tend à se retourner ; jusqu’à cette note lapidaire et désenchantée le 2 avril 1889 : « La faute est faite et c’en est fait, j’ai peur, aussi de Boulanger ! Il a filé hier soir pour Bruxelles. » Alors que s’approchent les élections qui se traduiront par l’échec cuisant du camp monarchiste, le marquis de Breteuil ne se bat plus que pour l’honneur ;

- le 31 mai 1889, il écrit : « Je suis rentré aujourd’hui et le Times que je lisais ce matin dans le train contenait un article sur la famille d’Orléans qui est bien de circonstances. Il peut se résumer ainsi :"Ils ont décidément renoncé, non seulement à régner, mais même à rentrer." La feuille anglaise est bien dans le vrai et je pense chaque jour davantage que, si jamais nous faisons la monarchie, ce sera malgré eux. »

Pour finir, comme une épitaphe à ce « Journal secret » qui se termine le 7 octobre 1889, le 22 septembre qui précède, Henri, marquis de Breteuil, tire cette conclusion amère : « Comme je l’ai écrit bien des fois depuis le commencement de cette aventure, il fallait vaincre ou mourir, devenir la majorité ou demeurer une minorité impuissante ! Entre ces deux situations, pas de milieu, pas d’espérance à conserver. Nous sommes battus, il ne sert de rien de se le dissimuler, et, quelle que soit l’issue des ballottages, ils n’apporteront plus aucun changement à la situation. »

mercredi 16 mai 2007

Nicolas Sarkozy investi

Nicolas Sarkozy est le vingt-troisième président de la République française, le sixième en titre sous l’égide de la Constitution du 4 octobre 1958. Ce mercredi, lors d’une cérémonie sobre et digne, il a succédé au Général de Gaulle, à Georges Pompidou, à Valéry Giscard d’Estaing, à François Mitterrand et à Jacques Chirac. S‘agissant du fondateur de la Vème République, le nouveau chef de l’Etat a rendu hommage à celui qui, par deux fois, sauva la République. De ses deux successeurs, Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, Nicolas Sarkozy a tenu à souligner à quel point ils oeuvrèrent pour faire entrer la France dans la modernité. Dans son discours d’investiture, prononcé au palais de l’Elysée, le président a évoqué le mérite qui fut celui de François Mitterrand en préservant nos institutions au moment où l’alternance politique, naturelle dans une démocratie, permettait à tous les Français de se retrouver dans celles-ci. De Jacques Chirac, qu’il a chaleureusement raccompagné dans la cour de l’Elysée et même applaudi au moment où sa voiture quittait la cour du palais, Nicolas Sarkozy a salué l’engagement en faveur de la paix et de la lutte contre le réchauffement de la planète.

C’est donc un jeune président qui dirige et gouverne le pays. Il a l’intention fermement affichée et maintes fois réitérées de piloter directement l’action de l’exécutif. Le gouvernement, conduit par François Fillon, aura la même obligation de résultats que s’impose le président de la République.

Nicolas Sarkozy a tenu à renouveler, sitôt investi, sa promesse de faire ce qu’il a dit qu’il ferait tout au long de la dynamique et puissante campagne électorale qu’il a menée et qui lui a permis de surclasser ses concurrents. A deux reprises, comme pour en souligner l’importance, le président a placé son action sous le signe du « respect de la parole donnée ». Il a affirmé sa volonté de répondre l’exigence morale de changement et de résultats que lui impose l’attente du peuple français. Par des propos de rassemblement et d’ouverture, Nicolas Sarkozy a su rassurer ceux qui doutent mais aussi, par des propos de fermeté, il a clairement indiqué qu’il n’oublie pas le mandat qui lui a confié « la France qui ne veut pas mourir », réaffirmant son attachement à l’identité de la France et à sa préservation.

Dans un style moderne, simple, dégagé des préjugés, Nicolas Sarkozy ouvre une présidence qui soulève d’immenses espoirs. Acceptons-en l’augure et gageons que les Français sauront lui donner une majorité parlementaire puissante mais aussi diversifiée et ouverte pour mener à bien la mission qui est désormais la sienne.

jeudi 10 mai 2007

La fin de l'exception française


La fin de l’exception française ? Oui, par l’ouverture d’un cycle au cours duquel plus rien ne sera comme avant dans la France politique.

Cela a commencé par une campagne électorale hors normes au cours de laquelle se sont affrontés trois dynamiteurs. Chacun dans son genre, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou ont placé au premier rang une génération, une volonté de renouvellement, un désir de rupture. Et ils ont été entendus par les Français. A eux trois, ils ont rassemblé plus des trois quarts des suffrages exprimés au premier tour. La logique a voulu que ce soit le plus préparé, le plus déterminé, le plus organisé et le plus transparent des trois qui l’emporte. Nicolas Sarkozy avait rassemblé toutes les droites, bâti un projet et annoncé ses intentions avec une force de conviction qui ne pouvait que balayer tout sur son passage. Pour autant, que ce soient les deux autres candidats qui lui aient disputé la vedette n’est pas sans importance pour la suite.

Cette campagne a également été celle au cours de laquelle, depuis 1965, les médias – pour des raisons évidentes de progrès technologiques – ont tenu la place la plus importante mais aussi la plus stimulante. En effet, l’irruption d’Internet et des nouvelles chaînes de télévision a pesé dans le débat. Chacun se souvient de la vidéo pirate sur « dailymotion » dévoilant les propos de Ségolène Royal sur les enseignants qui ne travaillent pas assez, ou celle révélant qu’Alain Duhamel souhaitait apporter son suffrage à François Bayrou. De même, les débats internes au Parti socialiste sur « La chaîne parlementaire » ou le débat Royal/Bayrou sur BFM TV auront placé ces deux « petites » au rang des plus « grandes ».



Plus largement, la victoire, dans des proportions incontestables, de Nicolas Sarkozy place notre pays dans le droit commun des démocraties occidentales. Par le style d’abord. Le nouveau président de la République va imposer une pratique de la fonction sur laquelle son successeur, dans cinq ou dix ans, ne pourra pas revenir. Moderne, présente, active, décomplexée, la méthode Sarkozy sera probablement assez « décoiffante ». Par le fond, ensuite. En ayant voté massivement aux deux tours pour un candidat s’affichant clairement à droite, levant tous les tabous de la pensée unique, se réclamant de l’ordre, de la morale, de l’autorité, de la réussite par le travail, prônant le service minimum dans les transports, la baisse des prélèvements obligatoires, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, ne reniant pas sa sympathie pour les Etats-Unis et Israël, les Français ont peut-être enfin accepté de se donner la chance de vivre ce que Ronald Reagan, Margaret Thatcher, José-Maria Aznar ou Silvio Berlusconi ont fait connaître à leurs nations au cours des vingt-cinq dernières années.

Face à ce vent du changement, l’opposition va devoir s’adapter et rompre définitivement avec les vieilles lunes de son passé marxiste. Le Parti socialiste, bon gré mal gré, va devenir social-démocrate et les centristes, à l’instar des radicaux il y a trente ans, vont se scinder entre « Mouvement démocrate » dont le cœur penche au centre-gauche et « UDF canal historique » dont le cœur penche au centre-droit. De part et d’autre de ces deux blocs, l’un conservateur libéral, l’autre social-démocrate, les extrêmes sont marginalisés. C’est peut-être cela la fin de l’exception française.

vendredi 4 mai 2007

Nicolas Sarkozy devrait l'emporter

Les Français l’ont voulu et ils l’ont. Ils y tenaient à ce face à face, les enquêtes d’opinion en témoignaient. Rien n’y a fait pour les en détourner. Ni la sulfureuse réputation de Jean-Marie Le Pen, fort de son succès de 2002 que beaucoup le croyaient capable de réitérer ; ni le succès d’estime de François Bayrou qui a tutoyé les sommets sans les atteindre. Royal-Sarkozy. Sarkozy-Royal. L’affiche est, dans le fond, non seulement prestigieuse mais aussi riche de promesses de renouvellement des élites et des pratiques politiques. L’un et l’autre sont quinquagénaires et se présentent pour la première fois ; l’un et l’autre se sont imposés à leur camp respectif en s’appuyant sur l’opinion ; l’un et l’autre affichent une volonté de rupture. Mais la comparaison s’arrête là.

Nicolas Sarkozy a un net avantage sur sa rivale qui ne lui est pas seulement conféré par son excellent score qui lui a permis de « creuser le trou » au premier tour. Il se présente à cette élection après avoir recomposé la droite, bâti un projet au terme d’un long processus de dix-huit conventions thématiques de l’UMP et annoncé clairement ce qu’il entend faire et avec qui il entend le faire. Il a, comme jamais aucun n’y était parvenu avant lui, réussi une forme très efficace de synthèse entre toutes les traditions et composantes de la droite et du centre-droit français : démocrates-chrétiens, radicaux-valoisiens, giscardiens, libéraux, chiraquiens, gaullistes et souverainistes.

Ségolène Royal, de son côté, compte sur son élection pour, après coup, recomposer la gauche, modifier son « pacte présidentiel » et rassembler une majorité hétéroclite allant de José Bové à, espère-t-elle probablement en vain, François Bayrou. Au-delà des commentaires qui auront été faits sur sa légèreté, ses bourdes, son style maladroit et son mysticisme égocentrique, c’est cette stratégie « en dedans » qui est la principale faiblesse de Ségolène Royal.

Mercredi soir, le débat télévisé n’a pas apporté grand chose de plus à la connaissance des électeurs. Il aura seulement permis de faire tomber un masque : Ségolène Royal est redevenue Marie-Ségolène : une socialiste hautaine, arrogante, méprisante et impatiente. Toute sa stratégie aura porté sur son irrépressible envie d’en découdre avec son adversaire pour le pousser dans ses retranchements. Elle s’est heurté à un mur de courtoisie, de patience, de respect pour sa personne. C’est elle qui a perdu ses nerfs et s’est emportée dans une diatribe excessive.

Nicolas Sarkozy, lui, a campé sur ses positions, « déroulé » un programme bien rôdé et suffisamment détaillé et fait la démonstration qu’il n’est pas le psychopathe avide d’autorité que certains veulent décrire mais, au contraire, un homme expérimenté, pondéré, soucieux de mettre en œuvre une politique empreinte de réformisme et de pragmatisme. Sur les questions économiques, sociales comme les thèmes de la sécurité et de la politique étrangère, il a affirmé sa supériorité sur la candidate socialiste.Bien malin qui peut dire si les débats de 1974, 1981, 1988 et 1995 ont changé le cours des choses mais si, cette année, la logique politique est, au second tour, respectée comme elle l’a été au premier, Nicolas Sarkozy devrait l’emporter.