dimanche 24 juin 2007

Antoine Compagnon : "La littérature, pour quoi faire ?"



Antoine Compagnon, qui a enseigné à la Sorbonne et à New-York, est titulaire de la chaire de « Littérature française moderne et contemporaine » au Collège de France. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont un des plus marquants est « Les Antimodernes, de Joseph de Maistre à Roland Barthes », publié en 2005. Fayard a publié en début d’année, dans sa collection dédiée à ce type de texte, la leçon inaugurale du professeur Compagnon, prononcée le 30 novembre 2006.

En prolégomènes à notre promenade littéraire estivale, il est passionnant de s’attarder sur cette conférence, brève et dense, intitulée « La littérature, pour quoi faire ? »Très tôt dans son exposé, Antoine Compagnon souligne combien « les noces de la littérature et de la modernité n’ont jamais cessé d’être batailleuses. » Car, enfin, dans le monde moderne, celui d’Internet, de YouTube, de DailyMotion, a-t-on encore besoin de la littérature et à quoi peut-elle bien servir à l’homo numericus ? Compagnon pose alors une question cruciale, qui met en cause le fondement même de notre civilisation : « La littérature est-elle indispensable, ou bien est-elle remplaçable ? » Italo Calvino, cité dans ce cours au Collège de France, nous apporte un début de réponse stimulante : « Si j’ai confiance en l’avenir de la littérature, c’est parce qu’il y a des choses, je le sais, que seule la littérature peut offrir par ses propres moyens. » Il nous appartient donc de partir à la recherche de celles-ci. Nous les trouverons en nous mêmes mais aussi dans les œuvres des auteurs. Le monde, les sensations, les sentiments resteraient à leur stade primaire si la littérature ne nous aidait pas à les percevoir autrement. C’est que Proust écrit dans « La Recherche… » : « Par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. » Mais au début de ce XXIème siècle, l’homme est allé sur la Lune depuis belle lurette déjà et se pose la question de l’actualité de la littérature et du sens de son existence aujourd’hui. Antoine Compagnon dresse un constat assez alarmiste pointant le terrain conquis par les textes documentaires à l’école, la portion congrue laissée à la critique littéraire dans la presse, les conséquences d’un temps morcelé, accéléré qui ne supporte plus le calme et l’ennui pourtant si propices à la lecture. « La littérature elle-même – la littérature qu’on dit « vivante » - semble douter parfois de son bien-fondé face aux discours rivaux et aux techniques nouvelles, non seulement – vieille querelle – les sciences exactes et sociales, mais aussi l’audiovisuel et le numérique. Depuis la modernité, la littérature est entrée dans l’ère du soupçon. »

Pourtant, Montaigne, Racine, Baudelaire ou Proust nous en disent plus sur la vie que de longs traités savants. « Exercice de pensée et expérience d’écriture, la littérature répond à un projet de connaissance de l’homme et du monde. » A suivre.

mardi 19 juin 2007

Les législatives dans les Hautes-Pyrénées

Editorial publié dans "La Montagne" du 8 juin 2007 :

Dimanche, le premier tour des élections législatives sera l’occasion de vérifier si l’essai marqué par Nicolas Sarkozy au soir du 6 mai dernier sera transformé au Parlement. Tout porte à le croire. Si l’on en croit les sondages, nouvelle science des Aruspices du monde moderne nourri à la mamelle du multimédia, ce n’est pas à une vague bleue qu’il faut se préparer, c’est à un raz-de-marée. Acceptons-en l’augure. Il ne serait pas sain, pour notre démocratie, de contraindre à une cohabitation stérile le président nouvellement élu pour cinq ans. Pour autant, si majorité écrasante il y a, sera-ce illégitime, voire choquant comme veulent le donner à penser certains esprits de gauche ? Aucune Chambre des députés ne saurait voir sa composition frappée du sceau de l’illégitimité dès lors que ses membres y ont été envoyés au terme d’élections libres, transparentes et auxquelles ont pris part des électeurs eux aussi libres. Quelle est donc cette conception de la république qui voit quelques-uns uns de ses responsables condamner sur un plan moral le résultat des élections dès lors que celui-ci ne leur convient point ? Pour qui faut-il se prendre, et avec quel sérieux, pour prétendre dénoncer l’accaparement du pouvoir et estimer que seuls les opposants au président élu par le peuple sont en mesure de représenter la nation, appelée à entrer en résistance contre on ne sait quel occupant ou despote ? J’ai même entendu sur la chaîne de télévision France 5 le psychanalyste Gérard Miller en conclure, péremptoire et pédant comme il sait si bien l’être, qu’il ne pouvait y avoir qu’une seule explication à l’engouement du peuple pour son président : celui-ci avait forcément « hypnotisé » celui-là. On atteint là des sommets de bêtise crasse.

Dans les Hautes-Pyrénées, dont je tiens en général cette chronique fort éloignée, le moment est venu de profiter de l’élan créé par Nicolas Sarkozy pour donner un peu d’air à la représentation parlementaire du département. Les mêmes qui prétendent s’ériger en pare-feu contre les prétentions supposées extravagantes de la droite, ne voient par contre aucun inconvénient à ce que la gauche occupe ici les deux sièges de sénateurs, les trois de députés, l’écrasante majorité du Conseil général et du Conseil régional. Ils n’ont pas plus regimbé quand leur propre camp a conquis 21 régions françaises de métropole sur 22. Dans cette Bigorre, le moment est venu de se demander si, en introduisant un peu de pluralisme et de diversité dans la représentation parlementaire, il est possible d’élire un ou plusieurs députés qui puissent jouer un rôle effectif. Certes, une démocratie a besoin d’une opposition mais un territoire ne peut pas et ne doit pas s’enfermer dans une logique tribunitienne en ne confiant son destin qu’à des députés ou des sénateurs qui ne conçoivent leur mandat que dans l’imprécation et l’incantation. De plus, il serait bon de disposer d’un contre-pouvoir efficace au conservatisme radical-socialiste qui prévaut ici, fondé sur le clientélisme et le quadrillage du territoire par un réseau d’obligés.

Si, à l’Assemblée nationale, il est bon que la majorité ne soit point trop hégémonique, que ceux qui le clament conviennent qu’ici et maintenant il est temps d’entrer dans la modernité en élisant des députés capables d’être efficaces dans leur mission d’ambassadeurs auprès des pouvoirs publics. Au cours des cinq dernières années, pour ne parler que d’elles, les Hautes-Pyrénées n’ont eu que des représentants sans accréditation. Et si on votait utile dimanche ?


Editorial publié dans "La Montagne" du 15 juin 2007 :

Encore un petit effort. C’est lors du premier tour d’une élection nationale que se mesure l’exacte représentativité des différentes familles politiques, quand tous les partis présentent des candidats. Dans ce contexte, il n’est pas neutre de relever que les choses bougent dans le département des Hautes-Pyrénées. Depuis les élections présidentielles, les tendances électorales ont fortement évolué et la dynamique en faveur de la gauche semble cassée. Il est donc possible d’imaginer que sorte des urnes, dimanche, une représentation parlementaire moins monochrome que celle que le département connaît depuis 2002. C’est incontestablement dans la deuxième circonscription que l’UMP, avec Gérard Trémège, a le plus de chances de l’emporter mais des surprises sont possibles ailleurs tant les deux candidates, Monique Lamon et Christine Rabaud-Carrié, sont en mesure de faire vaciller les tenants du titre.

Que fait Bayrou ? La stratégie – personnelle – du président de l’UDF Modem suscite bien des interrogations chez celles et ceux qui se sont toujours sentis proche de cette famille de pensée. En 1997, après la désastreuse dissolution, les élections législatives (auxquelles j’étais moi-même candidat sous l’étiquette UDF, dans la continuité de Gérard Trémège, Pierre Bleuler et Rolland Castells), le parti fondé en 1978 par Valéry Giscard d’Estaing comptait, malgré la victoire de la gauche, plus de 110 députés. L’ambition démesurée de François Bayrou a conduit le Parti républicain en 1998, les radicaux en 2002 et, la même année, des personnalités centristes éminentes comme Philippe Douste-Blazy, Pierre Méhaignerie et Jacques Barrot à le quitter successivement. Au terme de sa première candidature à l’Elysée, il n’est plus resté que 27 députés UDF à l’Assemblée nationale. En 2007, François Bayrou pourrait bien être le seul député revêtu de cette étiquette et encore, par la grâce de l’UMP qui a, par charité chrétienne, retiré l’excellente candidature de Jean-Pierre Mariné en Béarn… Mais les choses sont heureusement plus simples. Aux législatives, les candidats de l’UDF ont retrouvé un score habituel au plan local et national : celui du centre-droit. Les réactions de Rolland Castells, de Catherine Corrège ou de Ginette Héry témoignent de la pérennité de l’héritage politique de Pierre Bleuler et de la solidité de l’Entente républicaine qui voit, au Conseil général, les élus UDF et UMP travailler en parfaite intelligence.

Dimanche, au soir du second tour des élections législatives, les Hautes-Pyrénées peuvent compter des députés vraiment représentatifs, c’est à dire ne représentant pas qu’un seul hémisphère du cerveau bigourdan. Ce fut déjà le cas, au cours des vingt dernières années, en 1986, en 1993 et en 1997. Alors, pourquoi pas en 2007 ?

vendredi 1 juin 2007

C'est maintenant "la France d'après" !

Dans les mois qui précédèrent l’annonce officielle de sa candidature à l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy plaça l’action militante de l’UMP qu’il présidait alors sous l’égide du slogan « Imaginons la France d’après ». Les commentateurs, aveuglés par les schémas anciens et l’intensité de la rage de Dominique de Villepin contre son Ministre d’Etat, conclurent immédiatement à la provocation à l’égard de Jacques Chirac. Il ne fallait pas y voir que cela. Durant ce printemps politique intense, Nicolas Sarkozy a lui-même défini son combat comme autant idéologique que politique. Il ne faudra donc pas s’étonner d’assister dans les prochains mois à de véritables bouleversements de la donne politique, à l’instar de ceux de 1958 et 1974. Il y a près de cinquante ans, le retour aux affaires du général de Gaulle s’accompagna de la refondation non seulement de nos institutions mais également de nos pratiques politiques. Il fallait solder les comptes de la décolonisation et de l’après-guerre. En 1974, la mort prématurée de Georges Pompidou accéléra l’après-gaullisme. Dans son livre publié il y a quelques mois, Jean Mauriac (« L’après de Gaulle, notes confidentielles », Fayard) rend bien compte de la mort politique progressive de ceux qu’on appelait alors les « barons » du gaullisme qui considéraient Pompidou et, pire encore, Chirac, comme traîtres et félons. A gauche, François Mitterrand avait, au congrès d’Epinay de 1971, unifié la gauche socialiste et codifié les conditions de l’accord politique avec le Parti communiste qui devrait mener celui-là à l’Elysée en tuant celui-ci. En 1981, la perpétuation de la rivalité entre Giscard d’Estaing et Chirac ne permit pas à la droite de se remettre en question tandis que le président socialiste, découvrant au même instant ou presque et le luxe du pouvoir suprême et son cancer, gela toute évolution politique dans son camp pour avoir la paix. Sa seule contribution à l’évolution du paysage politique fut d’avoir favorisé l’émergence du Front national. 1995 et 2002 furent des rendez-vous manqués. Pour terrasser son rival Balladur qui campait sur les positions conservatrices et libérales traditionnelles, Chirac fut élu sur des thèmes de gauche avant de mener une politique un peu gribouille qui, de rigueur annoncée en réforme ratée, aboutit à la désastreuse et ridicule dissolution de 1997, offrant aux socialistes un pouvoir auquel ils n’avaient pas franchement eu le temps de se préparer en faisant leur aggiornamento post-mitterrandien. L’élection présidentielle de 2002 fut celle de tous les malentendus (Chirac à 19 %, Jospin éliminé au 1er tour, Le Pen qualifié pour le 2ème) et n’incite guère le président réélu à mener une politique volontariste. Il fut d’ailleurs conforté dans ce prudent attentisme par la défaite de 2004 aux élections régionales, l’échec du référendum de 2005 et son propre accident de santé la même année. Pourtant, ce fut à ce moment-là que se décida le résultat de l’élection de 2007. Nicolas Sarkozy prit d’assaut la direction du parti présidentiel en faisant un véritable mouvement populaire de rassemblement des différentes traditions de droite. Dans le même temps, François Hollande gela toute évolution au Parti socialiste, incapable de tirer les conséquences de son fiasco de 2002, en espérant en tirer profit. Mais il fut débordé par sa propre compagne. En 2007, le Parti communiste est moribond, le Front national est laminé, le Parti socialiste divisé et condamné à mener, dans la douleur, une réforme profonde de son idéologie, de ses structures et de son leadership. Au-delà du résultat des prochaines élections législatives, l’avenir de notre pays se jouera sur la capacité des acteurs politiques, actuellement en situation de décider et d’agir, à négocier le virage qui s’annonce. Il dépend de Nicolas Sarkozy de concrétiser ses annonces et de pérenniser dans l’après-présidentielles la puissance et le dynamisme de l’UMP. Il sera important de mesurer qui du MoDem, du Nouveau Centre ou du Parti radical prochainement réunifié saura occuper le centre de l’échiquier politique. Il faudra voir comment le PS deviendra enfin un parti social-démocrate, et avec qui. Pour finir, qui osera prononcer définitivement l’oraison funèbre du communisme en France ?