mardi 20 novembre 2007

"Voleurs de feu : moments de grâce dans la littérature française", sous la direction de Jean-Pierre Guéno

Alors que sont distribués les prix littéraires de la saison, que s’approchent les fêtes de fin d’année, il est grand temps de penser aux ouvrages que l’on appelle communément les « beaux-livres » et qui enrichissent nos bibliothèques. On trouve dans cette catégorie toute une théorie d’albums de photographies, de catalogues d’expositions, de livres d’art ou de voyage. Cette semaine, je voudrais vous donner l’envie de lire et d’offrir le magnifique ouvrage intitulé « Voleurs de feu » et que publie Flammarion, en collaboration avec Radio France. Réalisé sous la direction de Jean-Pierre Guéno, historien et éditeur, ce livre somptueux regroupe quatre-vingt textes de la littérature française, chacun accompagné d’une notice sur l’auteur et de la reproduction de son manuscrit original.

Rassemblés autour de cinq thèmes, « Vivre », « Etre », « Aimer », « Voir », « Perdre », « Trouver », ces « moments de grâce dans la littérature française » offre une promenade tour à tour savoureuse, émouvante ou édifiante de la culture dans ce qu’elle offre de plus beau. Pascal, Voltaire, Chateaubriand, Hugo, Flaubert, Baudelaire, Maupassant, Zola, Proust, Claudel, Aragon, Camus, Céline, Prévert, Yourcenar, Duras, Enthoven… « autant de fulgurances qui immortalisent l’instant de la création. » Dans sa correspondance passionnée avec Louise Colet, Flaubert écrit à sa maîtresse et confidente que « c’est une délicieuse chose que d’écrire. » C’est aussi une bien belle chose que de frotter son âme à celle de ces créateurs dont un des auteurs du livre, Pascal Marchetti-Leca, nous rappelle la dimension prométhéenne. « Voleurs d’un feu auquel on se consume avec délice, voleurs de cendres qui se déploient en étincelles de rédemption, tous ont ouvert un chemin. »




Et nous les suivons, pauvres mortels que nous sommes, sur ces chemins pavés de mots, de phrases et de strophes. Je ne résiste pas au désir de cette si belle description de Malraux par Louise de Vilmorin : « André a toujours un doigt pointé vers le ciel pour essayer d’attraper un fil de la barbe de Dieu ! » Attraper un fil de la barbe de Dieu !, voilà ce que tous ces voleurs de feu ne cessent de poursuivre comme but dans toutes leurs entreprises de création littéraire. Même les plus agnostiques d’entre eux ne peuvent échapper à la démonstration à l’évidence de laquelle ils ont contribué : l’art en général et le plus abstrait d’entre eux, la littérature, nous renvoient l’image d’une création d’où le sacré ne peut être exclu. Je ne sais si Jean-Pierre Guéno et son équipe rejoindraient mon interprétation spirituelle de la littérature mais la préface du directeur des Editions de Radio France me conforte dans ma foi : « Ces textes qui foudroient parlent de vie ou de mort, d’amour ou de révolte, d’espérance ou de désespoir, de grâce ou de détresse. Ils nous rapprochent un peu des étoiles. (…) Qu’entend-on par fulguration ? Un mouvement, un frisson simultané de l’âme, du cœur et de l’esprit, un moment de grâce ou de disgrâce, qui pourrait rester sans voix, qui s’empare d’un écrivain et s’exprime pourtant à travers ses mots. » Il y a quelque chose de surhumain et d’irréductible dans l’acte d’écrire qui s’impose à l’écrivain et qui le transcende. Cet album, « Voleurs de feu », en apporte le plus magnifique et la plus fascinante illustration. Ce livre jouit d’une présentation très soignée, digne des plus grands éloges, qui en fait un cadeau de très haute tenue pour amateurs éclairés.

vendredi 9 novembre 2007

François Fillon sur Europe 1

A un journaliste qui, dans les coulisses d’Europe 1 , interrogeait François Fillon pour savoir s’il ne lui arrivait pas quelques fois d’avoir lui-même envie d’aller partout où va le président de la République, le Premier ministre répond, dans un sourire : « La réponse est double. Une fois sur deux, j’ai envie d’y aller moi-même et c’est trop tard ! Ce qui était le cas des pêcheurs. Et puis souvent le problème c’est que lui ne veut pas. »



Il faut tirer deux enseignements de cette réponse matutinale du chef du gouvernement. Le premier tient à la disparition de plus en plus flagrante de tout espace de confidentialité dans le monde médiatique. Le Premier ministre vient un matin répondre aux questions du journaliste vedette d’une radio périphérique et, l’après-midi même, sur le site Internet de cette station, une vidéo dévoile ses confidences « off ». Le second ressortit à la difficulté énorme que doit représenter le fait d’être le Premier ministre de Nicolas Sarkozy. Seul François Fillon pouvait l’être. D’une part parce que, durant la campagne et dans son propre livre, il a théorisé l’effacement de la fonction. D’autre part parce qu’il a cette forme de détachement et de fausse désinvolture, dans une apparente modestie distanciée, très smart dans le style et qui est le plus souvent la marque des véritables intelligences.




L’attelage de l’exécutif français pourrait être balzacien. Il ressemble en fait à un sommet américano-britannique. Nicolas Sarkozy arbore l’allant et la voracité de parvenu d’un businessman américain tandis que François Fillon campe le personnage d’un gentleman britannique. C’est Berkeley contre Eton.

Et les Français, qui se disent anti-américains alors qu’ils consomment de plus en plus de films et de séries télévisées made in USA, et dont ils rêvent d’adopter le mode de vie, a-do-rent littéralement leur « french yankee » !


Sa dernière sortie au Tchad en fait le « Jack Bauer » de la diplomatie alors que François Fillon semble aller prendre le thé chez Miss Marple !

Le dernier sondage est éloquent. Alors que Fillon dévisse, Sarkozy serait élu avec 55 % des voix si les élections présidentielles avaient lieu aujourd’hui. Il améliore son score au premier comme au second tour, selon le sondage publié le week-end dernier par le Journal du Dimanche, six mois après l’élection présidentielle.

Mais il reste le plus dur à accomplir : il ne s’agit pas de sauver en 24 heures le monde d’une attaque terroriste comme le fait généralement Jack Bauer. Nous sommes dans la « vraie vie » : il faut redresser la France. Nicolas Sarkozy dispose de deux atouts formidables : il a l’énergie nécessaire pour tenter de tout régler en une seule journée et, en fait, il lui reste quatre ans et demi pour y parvenir.

vendredi 2 novembre 2007

Simone Veil : "une vie"

Jamais je ne vous ai ici entretenu d’un livre que je n’eusse point lu préalablement. Alors, comme la force d’une règle ne se juge que par sa capacité à être transgressée, je vais enfreindre cet interdit que ma conscience oppose généralement aux tentations de la paresse. Mais ici foin de facilité car, une fois l’ouvrage lu, je n’imagine pas renoncer à en faire la chronique dans ces colonnes tant sa parution me touche avant même de l’avoir découvert.

Aux marches de ses quatre-vingt ans, Simone Veil vient de publier chez Stock ses mémoires, intitulés « Une vie ».




Simone Veil est probablement la personnalité politique française la plus aimée et la plus respectée dans le pays. Elle le doit à une vie exemplaire faite de courage, de dignité et d’indéfectible élégance morale. Madame Veil est une grande dame et grâce doit être rendue à Valéry Giscard d’Estaing de lui avoir donné l’occasion de servir la France et d’avoir su si bien incarner une haute et exigeante conception de l’engagement public. Cet exemple est d’autant plus éloquent que la mode semble être désormais à la pensée confuse et au verbe approximatif, sésames maintenant suffisants pour accéder au ministère…




Au moment où La Montagne sera dans vos kiosques ou vos boîtes à lettres, « Une vie » de Simone Veil sera sur la table de votre libraire. Empressez-vous d’en faire l’emplette. Je n’en ai lu, comme vous peut-être, que quelques bonnes feuilles dans la presse magazine et j’ai écouté Madame Veil répondre à quelques interviews. La dernière, sur l’antenne d’Europe 1, au micro de Jean-Pierre Elkabbach, était émouvante. Dans les premières minutes de l’entretien, elle évoquait son arrestation, la déportation à Drancy puis Auschwitz-Birkenau, l’arrivée et la survie dans ce camp de la mort. Nous avons tous lu de tels témoignages (Primo Levi, « Si c’est un homme », Semprun « L’écriture ou la vie », me viennent à l’esprit). Aucun de ceux-là ne peut nous laisser indifférent. Ils nous rappellent combien la vie, qui est un don, peut parfois devenir tout simplement inhumaine par la rage destructrice qui anime certains. Nous sommes alors tous les débiteurs de ceux qui souffrent et endurent de telles choses. Y compris ceux d’entre nous qui ne sommes coupables de rien parce que nous sommes tous responsables de ce que devient le monde, à notre infime échelle de responsabilité individuelle.

Voilà aussi pourquoi j’ai envie de lire « Une vie » de Simone Veil et pourquoi je vous invite à le faire. J’y reviendrai dans quelques semaines.

J’évoquerai aussi le très beau livre de Philippe Claudel, « Le rapport de Brobeck » (Stock). On le cite souvent comme susceptible de recevoir un des prestigieux prix littéraires de l’automne. Ce serait mérité tant Philippe Claudel a signé un roman bouleversant, dérangeant et tellement bien écrit.

Interview de Simone Veil sur Europe 1