mercredi 30 avril 2008

Les sources du libéralisme français

Ce mois-ci, combien de fois aurons-nous les oreilles rebattues par la célébration du quarantième anniversaire des « événements » de mai 68. Je ne ferai pas ici la chronique de cette commémoration : d’autres que moi seraient plus qualifiés pour y pourvoir. Non point que je néglige les faits antérieurs à ma venue au monde. J’aime trop l’histoire pour céder à cet aveuglement. En revanche, il est certain que je n’ai guère de dilection pour cet épisode.

En fait d’anniversaire, j’ai plaisir à vous signaler celui de la revue «Commentaire » que je cite souvent dans ces colonnes. Fondée en 1978 par Raymond Aron, cette excellente publication trimestrielle propose, dans sa livraison printanière, un numéro exceptionnel. En ouverture de celui-ci, son directeur, Jean-Claude Casanova, rappelle la pétition de principe des pères fondateurs de « Commentaire » : « la combinaison de recherches intellectuelles, originales et contrastées, avec un souci politique permanent au service de la liberté. » Inutile de rappeler ici que le propos de la revue n’est rien moins que la défense et l’illustration de la pensée libérale. Le sommaire du numéro daté du Printemps 2008 est particulièrement riche.




Dans ce numéro, Gil Delannoi, directeur de recherches à la Fondation Nationale des Sciences Politiques, s’interroge sur ce « que veut dire libéral aujourd’hui » : « Il fut un temps où libéral signifiait généreux et partisan des libertés publiques et privées. Il fut même un temps où libéral était devenu synonyme de modération, de tolérance et de protection des individus et des groupes contre les excès de pouvoir. » Et l’auteur de constater avec amertume combien ce qualificatif n’a plus la faveur de l’opinion. « Une question se pose alors : comment nommer ce que recouvrait le sens vieilli de libéral ? » Delannoi propose successivement d’y substituer pluralisme, ou démocratique, ou modération. Le raisonnement est étayé mais on ne parvient pas à se résoudre au renoncement à ce beau mot hélas tant décrié.

Deux ouvrages parus dernièrement invitent le lecteur à se plonger aux sources de la pensée libérale française. Lucien Jaume et Laurent Theis publient respectivement deux biographies chez le même éditeur, Fayard, qu’on ne saurait trop féliciter de prendre un tel risque idéologique. L’une est consacrée à Alexis de Tocqueville, l’autre à François Guizot.



Ecrivain, historien et homme politique français du XIXème siècle, Tocqueville (1805-1859) est surtout connu pour ses ouvrages sur la démocratie américaine, la Révolution française et l’évolution des régimes politiques en général. Aron le tenait pour un grand précurseur de la sociologie politique.




Homme politique et historien, François Guizot (1787-1874) est son contemporain. Il est moins connu du public qui ne retient souvent de lui qu’une citation caricaturale : « Enrichissez-vous ! ».. Figure de la Monarchie de Juillet, Guizot incarne cette tradition politique française que René Rémond dans sa typologie des « Droites en France » a qualifié d’ « orléaniste » : une forme de conservatisme libéral et modéré.

On ne s’éloigne pas de l’actualité en se plongeant dans l’histoire : on y trouve les clés pour mieux la comprendre.

vendredi 25 avril 2008

Sarkozy : garder plus que jamais le cap de la réforme

Faut-il à ce point juger avec sévérité la première année de mandat de Nicolas Sarkozy ? L’âme humaine étant par essence grégaire, la pente naturelle conduit à joindre sa voix aux criailleries ambiantes pour le décrier avec le même entrain que lorsqu’il s’agissait de participer à l’engouement collectif. Bref, l’antipathie d’aujourd’hui est-elle plus rationnelle que l’emballement d’il y a un an ? Le trop et le trop peu tuent le jeu, se plait-on souvent à dire. En matière politique, la règle reste valable.



Il y a très exactement un an de cela, Nicolas Sarkozy a été brillamment élu à la présidence de la République, au terme d’une campagne électorale assez époustouflante, et face à des rivaux dont la médiocrité le disputait à l’arrogance. A-t-il été choisi parce que ni Ségolène Royal ni François Bayrou n’étaient « à la maille » ? L’a-t-il emporté parce les Français étaient las de la dictature du « ni-ni » inaugurée par François Mitterrand et érigée en système par Jacques Chirac ? Tout cela y a fortement contribué mais ne suffit pas à justifier son succès. Depuis quelques mois, le chef de l’Etat atteint des records d’impopularité. Il obtient dans les sondages les pires scores qu’aucun de ses prédécesseurs n’ait obtenus à peine un an après avoir été élu. A quoi le doit-il ? A sa personnalité ? A la surexposition médiatique de son divorce avec Cécilia Ciganer-Albeniz puis de son remariage avec Carla Bruni ? A son goût immodéré pour le clinquant ? A la déception des Français devant un pouvoir d’achat que la crise rogne chaque jour un peu plus et que rien ne vient améliorer ? Tout cela y a fortement contribué mais ne suffit pas à justifier son infortune.

Nicolas Sarkozy a été élu l’année dernière parce que les Français ont, consciemment ou pas, le sentiment que le pays va mal, que son organisation économique et sociale n’est plus à même de faire face au monde actuel, à ses contraintes et à ses enjeux : bref il faut des réformes et Sarkozy était le seul à affirmer avec force sa volonté de les mener. Nicolas Sarkozy est devenu impopulaire pour, à mon avis, trois raisons principales :

- 1°) son comportement a donné aux Français le sentiment qu’il ne s’occupait pas assez d’eux,

- 2°) les premières réformes menées et celles annoncées se heurtent aux habitudes et aux corporatismes de tous poils,

- 3°) la crise financière, énergétique et alimentaire mondiale est anxiogène.

Sur ces trois points, des mises au point s’imposent :

- 1°) Nicolas Sarkozy et son Premier ministre François Fillon ne sont pas restés inactifs depuis un an : autonomie des universités, immigration, carte judiciaire, régimes spéciaux de retraite, réforme du marché du travail, représentativité des syndicats, institutions, Grenelle de l’environnement, hôpitaux…. Les étalages intimes ont été l’arbre qui a caché la forêt des premières réformes menées ou engagées.

- 2°) S’ils les attendent, les Français redoutent aussi les réformes car ils savent qu’elles seront au mieux dérangeantes, parfois douloureuses et le plus souvent l’occasion de profondes remises en causes des modes de penser et d’agir dans un pays endormi dans le confort douillet d’un Etat-providence désormais impécunieux.

- 3°) La triple (voire plus) crise économique à laquelle la planète est confrontée est une indéniable source d’inquiétudes : l’explosion des bulles immobilières et financières, l’envolée des cours des matières premières et alimentaires ne préservent aucun pays. C’est aussi l’occasion pour une Nation à la culture économique déficiente de découvrir qu’il n’est plus temps de se demander si on doit être pour ou contre la mondialisation mais bien au contraire qu’il est urgent de s’y adapter.

Cette année, en demi-teintes, restera peut-être dans nos mémoires comme la première année d’une profonde mutation. C’est pourquoi elle est tant difficile à déchiffrer.

Garder plus que jamais le cap des réformes

Chronique publiée dans La Montagne du 18 avril 2008

«Il faut démontrer qu'un gouvernement peut tenir ses engagements même quand le vent souffle un peu et que la mer est un peu agitée.» Ce sont les déclarations fermes qui ont été tenues par le Premier ministre François Fillon lors de sa visite officielle au Japon la semaine dernière. Convaincu de la nécessité vitale de garder le cap des réformes, le chef du gouvernement a répondu qu’il ne fallait pas qu’on attende de lui qu’il soit de ceux qui « changent de politique à la première manifestation, la première saute de mauvaise humeur de tel groupe de pression, au premier mauvais résultat à une élection locale. »




Dans le même temps, les rues sont à nouveau animées de lycéens qui font monôme contre le programme de révision générale des politiques publiques au prétexte que cette démarche pourrait aboutir à un certain nombre d’effectifs enseignants en moins dans l’Education Nationale. S’il est possible de comprendre l’inquiétude des jeunes, souvent instrumentalisée par des lobbies corporatistes, il est navrant de constater une fois encore que, dans ce beau pays de France, que si le constat est bon, les remèdes prescrits par habitude sont pires que tout.




Illustration : au journal parlé d’une radio d’information, une jeune fille interrogée dans un cortège justifie sa présence par la crainte qui est la sienne d’appartenir à une « génération sacrifiée » dont le niveau et la qualité de vie pourraient être inférieurs à ceux de la génération de ses parents. La conclusion qu’elle en tire est la suivante : non à la politique de réduction des dépenses publiques. Le problème que semble ignorer la lycéenne est que, si ses craintes sont fondées, il n’en demeure pas moins que son avenir est avant tout compromis par l’accumulation de déficits publics et l’hypothèque que constitue l’endettement de notre pays.

En résumé, s’il est bien évidemment excessif de considérer que ce sont les fonctionnaires qui ruinent la France, car c’est faux et injuste à leur égard, il est en revanche évident qu’il est essentiel de parvenir à une meilleure maîtrise des dépenses publiques, à une résorption des déficits et à une forte réduction de l’endettement. Cela passe donc par un certain nombre de révisions déchirantes dans la stratégie et l’action de l’Etat, ainsi que par l’adoption de mesures et de réformes à l’impopularité desquelles le gouvernement sera confronté et qu’il devra supporter sans faillir.

C’est à cette aune-là, et à celle-là seulement, que l’Histoire jugera si la présence de Nicolas Sarkozy à l’Elysée a été utile. Au moment où il aborde le premier anniversaire de son élection, déjà 20 % du temps qui lui est dévolu est écoulé…

Hypocrisie olympique

Chronique publiée dans La Montagne du 11 avril 2008

Faut-il donc être à ce point naïf pour avoir besoin des Jeux Olympiques pour découvrir que la Chine communiste est une dictature ? Il faut dire que bien des beaux esprits qui écument le pavé de Saint Germain des Prés ont souvent été d’honorables correspondants du maoïsme, des thuriféraires du Grand Timonier ! Les étranglements scandalisés et les manifestations sur le parcours de la flamme olympique me font doucement rire. En revanche, je suis un peu agacé qu’il faille se trouver à quatre mois de l’ouverture des Olympiades pour que les protestations se fassent entendre. C’est au moment où la candidature de Pékin a été retenue qu’il eût fallu émettre des réserves ! Mais bon, passons. Ne boudons pas notre plaisir : on ne dénonce jamais assez les régime totalitaires.

La brutalité avec laquelle le régime communiste chinois réprime les manifestations au Tibet met en lumière les méthodes qui sont celles d’un système politique qui foule tous les matins au pied les libertés publiques. Que la Chine soit devenue un pays riche (au moins en partie), qu’elle soit un partenaire économique et industriel incontournable n’enlève rien à ce qu’il y a de plus détestable dans l’ex-Empire du Milieu. Les policiers chinois en survêtement bleu et blanc, lunettes noires et oreillette, sont une illustration de la façon dont le comité olympique de ce pays considère l’héritage de Coubertin. Nous avons tous vu à la télévision les images du parcours chaotique de la flamme à Paris. Le comportement de ces hommes de main, leur brutale arrogance, l’attitude des officiels chinois témoignent éloquemment de l’entreprise de propagande politique que constituent les Jeux de Pékin.




Alors que faire ? Le boycott des épreuves sportives ? Assez ridicule quand on n’a rien dit lors de la désignation de la capitale chinoise. La bouderie lors de la cérémonie d’ouverture ? Un rien naïf et immensément hypocrite.

Il faut simplement tirer les conséquences de la situation : d’une part, les JO ne sont plus, et depuis belle lurette, le moment héroïque de la quête sportive pure et de la rude fraternité entre les peuples. L’ont-ils jamais été ? Ils en sont aujourd’hui à des années-lumières.

En revanche, entreprise de spectacle sportif à vocation planétaire, la quinzaine estivale est une formidable machine à fric pour les grands groupes qui en sont les sponsors et les intermédiaires qui revendent les droits de retransmission télévisée. C’est aussi une incroyable opportunité de propagande ou de promotion (selon le régime politique qui y prévaut) pour la nation hôte.

Alors que nos athlètes se bouchent les narines au moment de concourir, que nos dirigeants mettent un mouchoir sur leurs principes et que nos entreprises aillent conquérir des marchés et trouver des opportunités d’affaires. Puisque les dirigeants du monde sportif et les diplomates sont resté cois quand Pékin a été retenue comme ville olympique, le sort en étant jeté depuis longtemps, allons y faire du business. Notre économie en a grand besoin.

Trop cynique tout ceci ? Je ne sais pas mais puisque tous les principes invoqués ont été bafoués depuis des lustres, il est trop tard pour pleurer sur le lait renversé.
Pour ma part, je continuerai à ne pas regarder les Jeux Olympiques à la télévision.

vendredi 4 avril 2008

Il faut réduire les dépenses publiques



RGPP. Savez-vous ce que veut dire cet affreux sigle ? Non ? Probablement est-ce une lacune car du destin réservé à ce qu’il représente dépend probablement notre avenir. RGPP signifie « révision générale des politiques publiques ». La presse en parle d’abondance. Des annonces importantes doivent être faites par le président de la République ces jours-ci.

De quoi s’agit-il donc ? Il s’agit de l’établissement complet d’un diagnostic des actions de l’Etat en vue de rationaliser et de maîtriser les dépenses publiques. L’enjeu est d’importance alors que, de l’aveu même du Premier ministre, la France traverse un « trou d’air » économique, lié au contexte mondial, et que les « caisses sont vides ». Parité euro/dollar, coût des matières premières, crise financière internationale : autant de difficultés qu’il faut bien affronter.

Derrière le vocable technocratique « RGPP » se cache la mise en œuvre d’une remise à plat de la gestion publique dont notre pays a grand besoin. Les annonces faites par Nicolas Sarkozy relève de cet impérieux besoin. Cela fait maintenant de nombreuses années que toute une série de rapports ont été rendus sur l’endettement, sur les déficits et sur les remèdes à administrer au malade. Michel Pébereau et Jacques Attali, pour ne parler que des plus emblématiques rapporteurs, ont largement défrayé la chronique. Maintenant, les pouvoirs publics sont au pied du mur, obligés de régler une addition dont ils ne sont pas responsables. Soit ils s’engagent – et très vigoureusement – dans cette direction, soit ils continuent à prendre des hypothèques sur l’avenir de nos enfants.

Déjà, les voix s’élèvent contre la réduction du nombre de fonctionnaires, pour la défense des implantations les plus coûteuses des services publics, contre l’allongement de la durée de cotisation pour les retraites. Pour d’autres, il est bien commode de désigner l’arbre du paquet fiscal de l’été dernier pour dissimuler la forêt de la gabegie collective depuis tant d’années.

« La France peut supporter la vérité », avait écrit François Fillon en son temps. C’est le moment ou jamais de le vérifier.



Rigueur ou austérité ? Comme d’habitude, le gouvernement pousse des cris d’orfraie et nie farouchement s’engager dans une telle direction. Pourtant, c’est bien à une réduction importante des dépenses publiques qu’il faut que la France s’astreigne à l’instar de ce qu’ont pratiqué d’autres pays comme le Canada ou la Suède. Il faut regarder avec attention ce qu’ils ont fait et s’en inspirer.

Alors, oui, il est probable que les multiples annonces que vont devoir faire dans les prochains mois Nicolas Sarkozy et François Fillon provoqueront du tangage social et amèneront la contestation dans la rue. Il faut s’y préparer. Il faut s’y résoudre. Il faut le comprendre et l’accepter.

Plus la potion paraîtra amère, plus elle aura de chances d’être efficace.

mercredi 2 avril 2008

Après les municipales...

Le résultat des élections municipales et cantonales, sur le plan national, restera longtemps un sujet sur lequel bien des conjectures seront faites. Les exégètes de tous ordres rivalisent d’analyses et de considérations variées. De celles-ci, il ressort un point important qu’il serait dangereux de négliger. Comme le veut la tradition, ces élections intermédiaires constituent une difficulté importante pour le pouvoir politique en place. Cela a toujours été le cas. Nicolas Sarkozy l’avait pressenti et c’est la raison principale pour laquelle il avait, bien avant son élection, proposé de fixer la date de tenue de celles-ci immédiatement après l’été dernier. De ce fait, il espérait que les élus locaux sortants qui l’avaient soutenu à la présidentielle profiteraient d’un état de grâce dont il savait bien qu’il ne survivrait pas aux premiers frimas.

Ce dont personne ne se doutait par contre, c’était la raison pour laquelle le contexte politique pourrait être moins porteur. En effet, les difficultés sont moins venues des conséquences de la politique menée par le Gouvernement que de la pratique elle-même de la fonction présidentielle par son titulaire. La meilleure preuve en est l’évolution symétriquement inversée des courbes de popularité de Nicolas Sarkozy et de son Premier ministre, François Fillon.

Que faire maintenant ? Le petit ajustement technique qui a tenu lieu de remaniement gouvernemental, ne saurait en aucun cas être considéré comme une réponse politique appropriée. Du reste, à la veille ou quasiment à la veille de la présidence française de l’Union européenne, il était plus important d’assurer une forme de stabilité gouvernementale.

En revanche, il apparaît essentiel pour le pouvoir exécutif de relancer sa politique de réformes avec une détermination rendue encore plus nécessaire par la conjoncture économique mondiale. Les Français l’attendent et leur vote de mars (l’abstention est aussi une forme de vote) en témoigne assez éloquemment. D’ailleurs une preuve supplémentaire en est donnée par la réélection de maires salués pour leur action réformatrice et transformatrice, comme à Tarbes par exemple.



Enfin, le président de la République doit mener une forme d’introspection, de conversion du regard en lui-même pour apprendre à prendre de la hauteur et de la distance à l’égard des charges de sa fonction. Les Français veulent que le pays changent mais il est une chose qui ne changera pas de sitôt : nous sommes un vieux pays monarchiste et contestataire. Si nous aimons à changer de Prince, nous aimons à ce qu’il en ait l’allure, le train et la componction. C’est ainsi et il faudra bien que Nicolas Sarkozy se plie à cette exigence atavique.