vendredi 30 mars 2007

Les projets de Nicolas Sarkozy

Dans l’interview qu’il donne cette semaine à L’Express, Nicolas Sarkozy livre avec beaucoup de clarté sa façon de concevoir la fonction présidentielle, les rapports que le Président doit entretenir avec le Parlement et le Gouvernement ; il dévoile également quelles seraient ses premières priorités si les Français le portaient à la présidence de la République.

« Le président, ce n’est pas un arbitre ; c’est un responsable. » Par ces mots directs, Nicolas Sarkozy exprime sa volonté, s’il est élu, de ne pas se considérer aussitôt au-dessus de la mêlée. Animateur de l’exécutif, il souhaite s’appuyer sur la légitimité du suffrage universel non pour inspirer mais pour conduire l’action des pouvoirs publics, en s’appuyant sur un Premier ministre coordonnateur d’une équipe ramassée de 15 ministres véritables « responsables politiques qui dirigent leur administration. » Dès l’automne prochain, le candidat UMP entend proposer une révision de la Constitution. Plus qu’un bouleversement, au contraire de ce que proposent François Bayrou ou Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy veut moderniser la vie institutionnelle en limitant à deux le nombre de mandats présidentiels, en renforçant les pouvoirs du Parlement, notamment en matière de contrôle de l’action gouvernementale et des nominations aux principaux emplois publics. « Le reste, c’est un changement d’état d’esprit et de pratique. »

Au moment où est commémorée la signature, il y a cinquante ans, du traité de Rome, Nicolas Sarkozy revient sur la monnaie unique. Il compte militer au sein de l’Union économique et monétaire constituée au sein de l’Union européenne pour que celle-ci fasse de l’euro le même usage que les Etats-Unis font du dollar, la Chine du yuan ou le Japon du yen. Pourquoi la Banque Centrale Européenne se limite-t-elle à une politique des taux visant à juguler une inflation qui ne menace plus guère, sinon par l’effet d’aubaine induit par les conversions, alors qu’elle devrait, en partenariat avec les ministres de l’Ecofin (le conseil des ministres des Finances européens) fait de la monnaie une arme au service de la croissance et de l’emploi ?

Sur le plan législatif, Nicolas Sarkozy fixe avec précision ses priorités. S’il est élu et si, un mois après, les Français lui donnent une majorité de gouvernement, il convoquera une session extraordinaire à l’ordre du jour de laquelle seront inscrits un grand nombre de dossiers. Il n’entend pas reproduire l’erreur de Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin en 2002 : il faut agir vite et fort. Modification des conditions de regroupement familial, instauration de peines planchers pour les multirécidivistes, hôpitaux-prisons notamment pour les détenus relevant de pathologies psychiatriques, exonération de charges fiscales et sociales pour les heures supplémentaires, déduction de l’impôt sur le revenu des intérêts d’emprunts contractés pour la résidence principale, suppression des droits de donation et de succession pour 90 % des Français, instauration d’un service minimum dans les services publics en cas de grève, ouverture de négociations avec les partenaires sociaux notamment sur le contrat de travail unique et la politique salariale,…

Avec Nicolas Sarkozy, les Français sont clairement avertis : ils savent ce qu’il fera, comment il le fera et avec qui il entend conduire son action. Mais il n’est pas pour autant l’homme d’un seul parti : il entend ouvrir sa majorité.Pragmatique et réformateur, avouant un goût pour la mesure inspiré par son action gouvernementale, le président de l’UMP estime que, pour autant, « la mesure ne signifie pas l’immobilisme. »

dimanche 25 mars 2007

Galerie de portraits de candidats de gauche

Ça y est ! Ils sont venus, ils sont tous là. Non, à priori, elle ne va pas mourir, la mama. On n’est pas dans la chanson d’Aznavour. Mais ils sont venus, ils sont tous là. Ils ont remis leurs parrainages à Jean-Louis Debré, encore tout heureux, lui, d’être là. Ils vont concourir. A gauche de l’écran, mesdames et messieurs, voici qu’entrent en pistes :

Gérard Schivardi (l’ai-je bien écrit ?), artisan, maire d’une commune rurale du midi et soutenu par le Parti des Travailleurs. Aux dernières nouvelles, c’est une formation trotskiste. On ne sait pas grand chose de lui ; il est probable qu’on n’en saura pas plus dans les prochaines semaines ;

Arlette Laguiller, employée de banque à la retraite, candidate multirécidiviste, porte-parole de Lutte Ouvrière, titre du journal d’un parti vivant plus ou moins dans la clandestinité et dont personne ne sait vraiment le nom exact. Personne n’en connaît non plus le véritable dirigeant. On dit qu’il se ferait appeler Hardy et qu’on peut le croiser une fois par an dans le parc d’un château. Mais je n’y ai jamais été invité ;

Olivier Besancenot, facteur à Neuilly sur Seine. On dit de lui qu’il vit en ménage avec une très « bo-bo » éditrice de Saint Germain des Prés. Il se présente pour la deuxième fois, malgré son jeune âge, et représente les Communistes Révolutionnaires. Tiens, il en existe encore ?

José Bové. De lui, que peut-on dire de plus ? Il est le paysan le plus people. Les méchantes langues, sur le Larzac, prétendent que le toit de sa ferme ne lui tombera pas sur la tête. Il a commis quelques déprédations sur le bien d’autrui, il est repris de justice. Il a eu à peine plus de 500 signatures, il est repris de justesse ;

Marie-George Buffet. Elle n’aime pas qu’on lui rappelle qu’elle a été le ministre bien sage et bien dévoué de Lionel Jospin entre 1997 et 2002 car, depuis, elle n’aime plus les socialistes. Elle s’est fâchée avec ses amis d’extrême gauche avec lesquels elle s’était pourtant si bien entendue pour dire non à l’Europe. En fait, elle a une grande ambition dans la vie : éviter de faire pire que Robert Hue. Ce n’est pas gagné. L’Histoire pourrait bien retenir d’elle qu’elle sera celle qui plantera le dernier clou sur le cercueil du Parti communiste et qui n’oubliera pas d’éteindre la lumière avant de refermer la porte, place du Colonel-Fabien ;

Dominique Voynet. Ce médecin anesthésiste a endormi les Verts. Pourtant, ils sont en général turbulents. Il faut dire qu’ils ont tellement eu peur que Nicolas Hulot se présente, qu’ils semblent ne pas s’en être remis… Quelqu’un leur a-t-il dit que M. Ushuaia a jeté l’éponge ?

Ségolène Royal. Elle a un problème avec les éléphants et ne pourra jamais se reconvertir en dompteur de pachydermes au cirque Pinder. Dommage, la plupart de ses amis prétendent qu’elle aura du temps libre dès le 23 avril. Chez ces gens-là, les amis sont caustiques. Les mêmes appellent son siège de campagne le « panier garni ». Est-ce à cause de la forte odeur de chabichou ? Vêtue de lin blanc et de probité candide, elle a conquis la « bravitude » sur la muraille de Chine mais cela semble devoir être son seul exploit cette année. Dans le cas contraire, François Hollande avouera-t-il qu’il ne peut pas être 1ère Dame de France ? Et pas uniquement parce que c’est un homme !

jeudi 22 mars 2007

Paul Auster : « Dans le scriptorium »


Il faut vraiment aimer Paul Auster pour goûter pleinement son dernier roman, « Dans le scriptorium », qu’Actes Sud vient de publier en coédition avec le canadien Leméac. Paul Auster est maintenant bien établi dans le paysage littéraire français, fidèle à son éditeur et à sa traductrice, excellente, Christine Le Bœuf. On ne parle jamais assez des traducteurs d’auteurs étrangers. Pourtant, ils jouent un rôle important, aussi essentiel que discret et effacé, au service d’auteurs du monde que nous ne savons pas lire dans leur langue maternelle. Ils sont un peu comme ces comédiens qui doublent les films étrangers. Citons ici, pour le plaisir, Michel Roux, récemment décédé, qui prêta longtemps sa voix et son timbre français à Tony Curtis.

Paul Auster, à 60 ans et, vingt ans après son premier succès, (« Cité de verre », premier volet de la Trilogie new-yorkaise), a écrit un roman à la fois fascinant et déroutant. Fascinant parce qu’il nous introduit dans les méandres du cerveau d’un écrivain ; déroutant car il faut être à son aise avec l’univers de l’œuvre d’Auster pour pénétrer vraiment dans le livre.

Certains critiques voient dans le héros du « Scriptorium », Mr Blank, une sorte de personnage de Beckett. D’autres retrouveront dans ce roman une ambiance à la Buzzati car il y a du « Désert des Tartares » dans ces Territoires Invisibles où le contre-personnage de Mr Blank, Sigmund Graf, est envoyé en mission.

D’ailleurs, cette narration dans la narration, cette mise en abîme, est en elle-même fascinante et concourt grandement au malaise du lecteur, en empathie avec le vieil homme.

Pour ma part, je retrouve dans ce livre une émotion qui me renvoie au « Rivage des Syrtes ». Pourtant, rien, dans l’écriture d’Auster (et dans la traduction de Le Bœuf) ne s’apparente au style de Julien Gracq. Mais il y a une résonance en moi entre les deux. Essentiellement pour des raisons personnelles : le Gracq fait partie des œuvres qui, avec « Les mémoires d’outre-tombe » et « La chute », m’ont donné envie d’écrire, et l’Auster m’explique un peu pourquoi on écrit et ce qu’on risque à le faire.

Dans le récit à l’intérieur du récit, il y a comme une atmosphère de lenteur et d’inéluctable, de manœuvres clandestines et de plans secrets de manipulation, à l’instar de la guerre vers laquelle on se précipite sans hâte, entre Orsenna et le Farghestan : « Nous sommes ici dans la garnison d’Ultima : l’extrémité occidentale de la Confédération, un lieu situé à la limite du monde connu. A plus de huit cents lieues de la capitale, nous dominons les vastes étendues non cartographiées des Territoires Invisibles. La loi dit que personne n’est autorisé à s’y rendre. J’y suis allé parce que j’en avais reçu l’ordre et maintenant je suis revenu pour présenter mon rapport. »

« Dans le scriptorium » est d’emblée prenant. Il saisit, dès les premières lignes, par la description précise et dépouillée du personnage étrangement appelé Mr Blank. Madame Le Bœuf ne pouvait pas traduire un nom propre mais il signifie, et cela n’est pas rien, « page blanche ».

« Le vieil homme est assis au bord du lit étroit ; les mains à plat sur les genoux, la tête basse, il contemple le plancher. » On ne sait pas où il se trouve. « Qui est-il ? Que fait-il là ? Quand est-il arrivé là et jusqu’à quand y restera-t-il ?Avec un peu de chance, le temps nous le dira. » Très vite, on n’y compte guère. « Son cerveau n’est plus qu’une masse de fer rouillé. »

Quelle est la symbolique de tout ceci ?

Recherchons-là dans le titre du roman. « Dans le scriptorium ». Le titre anglais est « Travels in the scriptorium », littéralement voyages dans le scriptorium. Le scriptorium vient du verbe latin qui signifie écrire ou celui qui écrit : scribere. Ce nom désigne généralement l’atelier dans lequel les moines copistes réalisaient des copies manuscrites d’ouvrages, avant l’invention de l’imprimerie. De nos jours, le scriptorium désigne par extension une salle dédiée aux travaux d’écriture.

Et si Mr Blank était l’auteur lui-même ? Et si le scriptorium dont il est question était l’imagination de l’écrivain ? Et si cet enfermement auquel Mr Blank est réduit, sans qu’on sache très bien s’il est volontaire ou contraint, était le destin d’un Paul Auster devenu bien vieux et dont les personnages viendraient hanter les jours comme des remords ?

Car un personnage de roman, on l’invente, on vit avec lui, à travers lui, on est son deus ex machina, son Pygmalion, quand on est écrivain. Et quand on s’en est bien servi, quand on trace le point final du récit, on l’abandonne, on le rend à son néant, à son destin inachevé, à l’imagination de ses lecteurs.

« Dans le scriptorium » est un roman à clés. Ce sont les personnages d’Auster qui forment un étrange cortège. On les reconnaît si on a lu Auster : Anna Blume, Peter Stillman, David Zimmer, John Trause,…

« Vous ne saviez pas quoi faire de moi, c’est pour çà, dit tout à trac Anna à Mr Blank, Il vous a fallu longtemps pour le concevoir. »

Mais il se défend devant Flood cette fois : « Ce ne sont que des mots sur une page, pure invention. N’y pensez plus, Mr Flood. C’est sans importance.

C’est important pour moi, Mr Blank. Ma vie entière en dépend. Sans ce rêve, je ne suis rien, littéralement rien. »

Auster nous entraîne ensuite dans une manipulation du récit dans le récit sur le récit lui-même. Renversante construction dont la conclusion étonne encore plus.

Paul Auster décrit alors à merveille la délicieuse fébrilité mentale de l’auteur qui tire les ficelles du destin de ses personnages : « Mr Blank s’arrête. Une nouvelle idée vient de lui passer par la tête, une illumination diabolique, dévastatrice, qui lui envoie dans tout le corps un grand frisson de plaisir, de l’extrémité des orteils aux cellules nerveuses du cerveau. En un seul instant, toute l’affaire est devenue claire pour lui et, lorsqu’il découvre les conséquences bouleversantes de ce qu’il perçoit maintenant comme la solution inévitable, l’unique solution dont il dispose à partir d’une horde de possibilités, le vieil homme se met à se frapper la poitrine, à lancer des coups de pieds en l’air et à agiter les épaules en rugissant d’un fou rire convulsif. »

Il faut vraiment aimer Paul Auster et on sera payé de retour.

Une dernière notation, pour mon plaisir. Sigmund Graf, par la voix de Mr Blank, décrit la vie de garnison à Ultima : « En attendant, n’ayant rien d’autre à faire pour occuper ses journées, il se laisse entraîner dans la société d’Ultima – ou ce qui en tient lieu, vu qu’il ne s’agit de rien de plus qu’une minable petite ville de garnison au milieu de nulle part. De tous ces gens, c’est De Vega, l’hypocrite, qui lui manifeste l’amitié la plus ostensible. Il invite Graf à des dîners – de longues soirées fastidieuses auxquelles assistent les officiers, les principaux fonctionnaires municipaux et des membres de la classe des commerçants, accompagnés de leurs épouses, de leurs amies, etc. -, l’introduit dans les meilleurs bordels et l’emmène même deux fois à la chasse. Et puis il y a la maîtresse du colonel…Carlotta…Carlotta Hauptmann… débauchée et sensuelle, la proverbiale veuve joyeuse, qui n’a de plus grands plaisirs dans la vie que baiser et jouer aux cartes. »
Carlotta Hauptmann, dans mon imagination, est la petite sœur, délurée et ultime, de la Vanessa Aldobrandi du « Rivage des Syrtes ».

jeudi 15 mars 2007

Jacques Chirac tire sa révérence

Jacques Chirac tire donc sa révérence. Il le fait d’une façon digne, à la hauteur de la fonction qu’il occupe depuis douze ans. Certes, on serait tenté de dire qu’il est plus à son aise dans les discours de circonstance que dans la gestion et l’action quotidiennes. Mais on ne lui enlèvera pas qu’il tire sa révérence avec ce qu’il faut d’émotion pour gagner les cœurs de ses concitoyens. Il faut dire qu’il est tout à fait à son aise dans l’empathie. Mais, basta, soyons fair-play ! C’est un redoutable animal politique qui raccroche les crampons au terme de quatre décennies d’action politique acharnée, combative, avec ce que Valéry Giscard d’Estaing appelle méchamment un instinct « famélique » tant l’appétit de pouvoir, de bonne chère et de chair fraîche a été démesuré chez cet ogre de Chirac. Laissons le bilan aux historiens, c’est leur affaire ; c’est un destin hors du commun qui tire à sa fin. Son intervention solennelle, dimanche soir, avait quelque chose de touchant et de nostalgique. C’était le testament politique qu’un homme du XXème siècle laissait à la France du XXIème siècle.

Songeons un peu : quand Jacques Chirac a été élu, pour la première fois, député de la Corrèze, le Général de Gaulle était à l’Elysée, Mai 68 n’avait pas eu lieu, la deuxième chaîne de la RTF (on ne disait pas encore l’ORTF) venait à peine d’allumer sa lanterne magique en noir et blanc, la CEE ne comptait que six membres (les fondateurs), Leonid Brejnev n’était au pouvoir que depuis trois ans, Ceausescu y accédait à peine à Bucarest, Lindon Johnson était président des Etats-Unis, la loi Neuwirth autorisait en France la contraception, la Guerre des Six-Jours enflammait le Proche-Orient, les Beatles chantaient « All you need is love », les Doors et les Pink Floyds sortaient leurs premiers albums (en vinyle micro-sillon, de l’hébreu pour les moins de 20 ans d’aujourd’hui), Catherine Deneuve et Françoise Dorléac chantaient des refrains de Michel Legrand dans les « Parapluies de Cherbourg » de Jacques Demy,… Je m’arrête là ; la France est un pays formidable où il est permis de s’étonner du retrait de la vie publique d’un homme qui y entra en 1967 !

Maintenant, il ne reste plus qu’à lui choisir un successeur. En début de semaine, le Conseil constitutionnel publiera la liste des candidats aptes à concourir, c’est à dire ayant rassemblé un nombre suffisant de parrainages d’élus. Quel que soit leur nombre exact, seuls trois d’entre eux peuvent l’emporter. Alors les Français devront choisir et gageons qu’ils inclineront, in fine, même après avoir joué à se faire peur, vers celui qui leur paraîtra le plus apte à exercer la fonction suprême de la République. Le choix d’un président relève d’autres critères que ceux de la Star Academy. La mièvrerie de Ségolène Royal, le « ni-nisme » lénifiant de François Bayrou devront beaucoup moins peser dans la balance que la détermination et l’autorité de Nicolas Sarkozy. Dans un monde complexe, dangereux et en pleine mutation, on n’a besoin ni de la pommade socialiste ni du cataplasme centriste. : ce sont des vitamines qui nous sont nécessaires.

mardi 13 mars 2007

Notes de lecture sur Jean Mauriac


Jean Mauriac a été le correspondant de l’AFP auprès du Général de Gaulle de la Libération jusqu’à la mort de celui-ci. Pendant vingt-six ans, il a été le témoin privilégié, le confident même du héros national, président de la République pendant près de onze ans.

De cette exceptionnelle proximité, Jean Mauriac en a retiré une foi gaulliste intransigeante, austère et implacable.

Les éditions Fayard ont publié, il y a quelques mois, les notes confidentielles de Mauriac, prises au fil de son travail de journaliste politique, entre 1969 et 1989. C’est « L’après de Gaulle ».

Présenté et annoté par Jean-Luc Barré, historien et écrivain, ce livre nous glisse dans la confidence et les coulisses d’une fin d’époque étonnante tant la réalité désacralise la geste des « barons » gaullistes.

Car, même si on le savait, il est éloquent de mesurer combien les rivalités entre héritiers sont violentes, comment sont recuites les haines entre ceux qui furent grognards ou courtisans et qui, le grand homme disparu, se déchirent à belles dents.

Au fil de plus de 500 pages qui tiennent en haleine, le lecteur voit se réveiller les morts et les fantômes d’un autre temps : Michel Debré, Olivier Guichard, Jean de Lipkowski, Yves Guéna, Roger Frey, Maurice Couve de Murville, Pierre Messmer, Michel Jobert,…

Aux avants-postes, figurent bien sûr Georges Pompidou et Jacques Chirac.

Les notes prises par Jean Mauriac témoignent à quel point le premier fut considéré jusqu’à sa mort comme un usurpateur et en quelle piètre estime est tenu le second.

Quant aux deux victimes de Chirac, Jacques Chaban-Delmas et Valéry Giscard d’Estaing, ils sont dépeints sous des couleurs peu flatteuses.

Il en est un qui trouve grâce aux yeux du chroniqueur, mais aussi auteur, de ce jeu de massacre : Raymond Barre, qui confie à Jean Mauriac, après sa défaite aux présidentielles de 1988, « Je savais, en me présentant à l’élection, par où je devrais passer… Eh bien, je me suis trompé ! Tout est encore plus abject que je l’aurais imaginé ! »

Pour autant, et même si des convictions divergeant de celles de Jean Mauriac peuvent trouver agaçants ses jugements sans concession, « L’après de Gaulle » reste un document exceptionnel et un témoignage irremplaçable sur cette époque révolue.



Au fil de la lecture, quelques notations donnent le ton de l’ouvrage :

« A chaque voyage, dans l’avion de retour, se souvient Jean Mauriac, le Général me faisait appeler, débarrassait le siège voisin des journaux qui l’encombraient, me priait de m’asseoir à ses côtés et me parlait longuement. J’ai toujours été stupéfait de son ton direct, de sa franchise un peu brutale, de ses jugements à l’emporte-pièce, des secrets qu’il me livrait… » Voilà pour camper le personnage dont Alain Peyrefitte se demandait si les meilleures dépêches n’étaient pas celles qu’il ne s’était jamais autorisé à écrire, « les dépêches impossibles, les dépêches rentrées. »

Ce sont les dépêches impossibles, écrites entre 1969 et 1989, qui sont publiées dans « L’après de Gaulle ».

Jean Mauriac est le fils de François Mauriac. Voilà ce que le Général de Gaulle écrit à sa mère, le 1er septembre 1970, alors que le grand écrivain vient de s’éteindre :

« Son souffle s’est arrêté. C’est un grand froid qui nous saisit. Qu’il s’agisse de Dieu, de l’Homme, ou de la France, ou de leur œuvre commune que sont la pensée, l’action et l’art, son magnifique talent savait, grâce à l’écrit, atteindre et remuer le fond des âmes, et cela d’une telle manière que nul ne reviendra jamais sur l’admiration ressentie.
Quant à moi, je lui voue une reconnaissance extrême pour m’avoir si souvent enchanté, pour être un des plus beaux fleurons de la couronne de notre pays, pour m’avoir honoré et aidé, dans mon effort national, de son ardente adhésion, de sa généreuse amitié, de son immuable fidélité. Ce concours m’aura été sans prix…
»

Quelle magnifique oraison ! Et Jean Mauriac de conclure ce passage d’une plume étreinte d’une émotion où se mêlent l’admiration pour le Général et la piété filiale : « Que le général de Gaulle n’a-t-il dit cela à François Mauriac vivant ! »

Le 23 novembre 1976, c’est au tour d’André Malraux de rendre son dernier soupir. La légende, ou les faits avérés – mais qu’importe dès lors qu’il s’agit de Malraux – rapporte que ses dernières paroles à Sophie de Vilmorin à son chevet furent : « C’est une interminable corvée… » Jean Mauriac décrit, avec un talent d’écrivain digne du nom prestigieux qu’il porte, le salon bleu de la demeure des Vilmorin, à Verrières, où ses proches en petit nombre veillent Malraux.

« Quel mort connut jamais pareil décor ? Malraux était là au milieu de son « musée réel » : un tableau d’André Masson à qui il confia jadis la décoration du plafond de l’Odéon, ; et aussi six têtes gréco-bouddhistes, la plus grande baptisée « Génie aux fleurs », et cet oiseau japonais « Haniwa » en terre cuite, qui, tous, semblaient regarder de leurs yeux morts. Dans le clair-obscur du salon, à distance du lit mortuaire, les visiteurs demeuraient immobiles et silencieux. Pas un mot échangé, seul peut-être le « chuchotement de la mort » dont Malraux parlait dans Lazare. Ce n’était pas Malraux trépassé qu’on offrait aux regards. C’était Malraux mort dont « la mort ne se confondait pas avec son trépas ». Et certains, en le voyant pour la dernière fois, se souvenait qu’il avait souvent cité l’interrogation de son père juste avant son suicide : « Et qui sait ce que nous trouverons après la mort ? »
(…)
Le cœur battant, la gorge serrée, immobiles, silencieux, les amis et les admirateurs d’André – comme jadis, il y a six ans, ceux du général de Gaulle à La Boisserie – contemplaient cette table sur laquelle Malraux écrivait, travaillait, comme s’ils voulaient s’en imprégner à jamais.
»

Encore une mort, mais le gaullisme est-il autre chose aujourd’hui qu’une prestigieuse nécropole : « Yvonne de Gaulle a quitté ce monde comme elle a vécu : dans le silence et l’effacement. » (8 novembre 1979)

« L’après de Gaulle » est un livre exceptionnel pour ceux qui aiment la politique, l’histoire et la littérature

samedi 10 mars 2007

Nicolas Sarkozy : le renouveau de la droite française

La candidature de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle incarne, à n’en pas douter, un mouvement de renouvellement de fond en comble de la droite française. Celle-ci, contrairement à ce que d’aucuns voudraient nous faire croire, correspond à une réalité politique profonde dans le pays, à une nécessité d’équilibrage du paysage politique national et à une inclination forte d’une forte proportion de l’opinion. Mais, jusqu’à l’avènement (au moins dans son camp) de son actuel chef de file, elle peinait à s’affirmer. Depuis l’après-guerre, et en raison du traumatisme de l’Occupation et de la collaboration, concomitamment à la montée en puissance du communisme et des idéologies post-marxistes, dont l’alter-mondialisme est le dernier avatar, la droite française était frappée de flétrissure et il était malséant de s’en réclamer ouvertement. Le phénomène fut accentué par le fait que l’espace électoral de la droite fut pendant près d’un demi-siècle occupé successivement ou simultanément par le gaullisme, le giscardisme et le centrisme qui, s’ils s’adressaient à l’électorat de droite, peinaient à revendiquer leur part d’échiquier. Comme s’il fût moralement répréhensible d’être de droite et qu’il eût fallu constamment se trouver des excuses de ne pas être tout à fait de gauche. Cependant, il existe une solide tradition française de droite, qui n’a jamais collaboré à aucune idéologie totalitaire ou criminelle, qui ne peut et ne doit se faire aucun reproche historique et qui correspond à une part non négligeable du peuple de France. Elle porte une part importante de l’héritage démocratique de notre pays tant il est permis de considérer Montesquieu, Turgot, Constant, Tocqueville, Aron ou Revel comme autant de saints patrons de la démocratie parlementaire. Oublions un instant, avec l’immense respect et la gratitude intellectuelle qu’on lui doit, la classification des droites en France établie par René Rémond et dernièrement actualisée par ses soins. Passons sur l’histoire des partis, des hommes et de leurs destins pour ne retenir qu’une tentative de définition de la droite en France en ce début de XXIème siècle. Plongeant ses racines dans les familles gaullo-pompidolienne, démocrate-chrétienne, libérale, républicaine, indépendante, radicale ou traditionaliste, la droite française pourrait se définir comme libérale dans sa pensée politique, c’est à dire profondément attachée à la démocratie parlementaire, réformiste dans sa pratique économique et sociale, conservatrice dans ses valeurs, ses mœurs et son goût de l’ordre, laïque mais attachée à ses racines chrétiennes, universaliste mais pétrie de patriotisme.
Cette tradition trouve pleinement son illustration dans les discours et les déclarations de Nicolas Sarkozy. Il serait erroné de les juger seulement de circonstance ou comme la conséquence de la faveur du prince pour tel ou tel conseiller influent. Il y a chez Sarkozy, et dans ce syncrétisme de droite qu’il incarne, quelque chose de profond, d’enraciné, qui ressortit au domaine de la conviction, de la vision de la France et de son destin national.

mercredi 7 mars 2007

Mario Vargas-Llosa :« Tours et détours de la vilaine fille ».




Mario Vargas Llosa est péruvien et immensément célébré dans le monde. Qu’il ait fait de la politique dans son pays n’est rien à côté de l’œuvre immense et universelle de cet écrivain de génie, une des grandes figures de la littérature sud-américaine. L’auteur de l’ « Eloge de la marâtre », des « Cahiers de Don Rigoberto » ou de « La fête au bouc » a publie en 2006 chez Gallimard son dernier roman, traduit en français par Albert Bensoussan.

Ces « Tours et détours de la vilaine fille » sont le récit enlevé, d’une puissance narrative éblouissante, d’une très belle histoire d’amour, comme seule peut en imaginer une personnalité aussi riche que celle de Vargas Llosa et comme seule peut en donner la foisonnante culture latino-américaine, avec ses excès, sa passion et son extravagance. « Tours et détours de la vilaine fille » est aussi une preuve magnifique de ce que l’ouverture au monde peut offrir comme perspectives à la littérature. Ce livre est planétaire et cosmopolite, sans rien renier de ses origines péruviennes, et il nous emmène, à un train d’enfer, de Lima à Madrid, en passant par Paris, Cuba, Londres ou Tokyo.

La « niña mala » (la vilaine fille) dont on ne connaît le véritable nom qu’à la fin de l’histoire (encore que…), va faire endurer à son amoureux une vie de soucis et de chagrins d’amour. Aventurière, égoïste, perverse, elle se joue du « bon garçon » Ricardo comme d’un pion et, lui, demeure transi, toujours prêt à lui venir en aide et à lui débiner des « cucuteries » un peu guimauve, entre abandons, trahisons et retrouvailles incroyables. Vargas Llosa démontre ici combien la question de la vraisemblance et secondaire en littérature, même dans une œuvre ayant pour cadre l’histoire de la deuxième moitié du XXème siècle, celle que l’auteur a vécue aux avant-postes.

Sitôt son diplôme d’avocat en poche, le « bon garçon » débarque à Paris dans les années 50, un rêve d’enfance, et y devient traducteur à l’UNESCO. Son premier ami, un compatriote, l’entraîne dans un réseau clandestin pour combattants de la révolution cubaine. C’est ainsi qu’il retrouve un amour de jeunesse, la « vilaine fille ». Comme les chats, la « vilaine fille » a au moins neuf vies : fausse adolescente chilienne au Pérou, guérillera castriste à Paris et Cuba, femme de diplomate en France, aristocrate en Angleterre, maîtresse d’un yakusa au Japon. Le lecteur s’essouffle sans se lasser à la suivre et à suivre Ricardo dans leurs pérégrinations qui le trimbalent de Miraflores, quartier liméen de la jeunesse dorée, au Paris des existentialistes, au « swinging London » des hippies et encore ailleurs, au Madrid de la movida et de la renaissance culturelle.

Souvent tragi-comique, sensuel et émouvant, ce livre se lit presque d’une traite et laisse une formidable impression de bonheur comme seule la littérature en offre. Laissez-vous tenter.

mardi 6 mars 2007

Sonate de Scarlatti

Pour quelqu'un comme moi qui, jamais au grand jamais, n'est parvenu à apprendre le solfège et qui, à son grand désespoir, ne possède aucun sens du rythme, la musique est un des arts qui me fait la plus grande impression.

Enfant, je me souviens d'un air de Tchaïkovsky que je chantais comme une ritournelle magique.

J'ai parfois des transports d'émotion qui me viennent du plus profond et que je voudrais partager avec chacun.

C'est ici le cas des sonates pour piano de Scarlatti.

Je les ai découvertes en lisant, oui en lisant, le roman de Denis Tillinac "Je nous revois..." (Gallimard). Les sonates y jouent un rôle essentiel à l'alchimie des amours qui unissent deux personnages. Elles y sont comme des baisers et des étreintes.

Finalement, je ne savais que peu de choses de Scarlatti. Sinon la vague connaissance d'un compositeur virtuose du début du XVIIIème siècle ayant laissé un fabuleux héritage de plus de cinq cents pièces aux pianistes et clavecinistes.

Je me précipitais donc chez mon disquaire et m'abandonnais au sort qui offrait à ma passion naissante une sélection de dix-huit sonates, interprétées par Marcela Roggeri et enregistrées en concert en juillet 2005 au Manège de Reims, dans le cadre des Flâneries musicales d'été de Reims.

J'aime par dessus tout, dans ce disque, dont je ne puis quasiment plus me passer, la sonate en si mineur, K27.

Trois minutes et cinquante deux secondes d'absolu intense, de communion avec l'infini. La montée de l'intensité du plaisir se fait par vagues, comme si trois mains, non pas deux, non pas quatre, comme si trois mains s'enhardissaient en diableries sur le rachis du clavier. La montée du plaisir relâche sa pression pour mieux me ressaisir, pour achever de s'emparer de moi.

J'aime imaginer la pianiste arc-boutée sur son instrument, comme lui faisant l'amour. Au terme de cette folle et brève cavalcade, la retombée, apaisée et apaisante, l'abandon des sens après qu'ils eussent exulté. Un désir d'abandon, oui d'abandon, et d'enfouissement aussi.

Scarlatti, comme tous les grands passeurs d'émotions, me révèle à moi-même et me redonne le courage de reprendre d'une plume tremblante ce désir imbécile et fou, de présomptueux et d'agité : écrire.

Laissons aller les choses. Scarlatti. Trois minutes et cinquante deux secondes d'absolu pour une vie révélée à elle-même.

dimanche 4 mars 2007

Romano ou Giorgio ?

Romano ou Giorgio ? L’Italie est à la mode. Et pas seulement à cause des récents soubresauts gouvernementaux de la péninsule qui, d’ailleurs, vont faire regretter aux transalpins la remarquable stabilité ministérielle de l’ère Berlusconi. Non, si l’Italie est à la mode, c’est parce que l’homme en forme des sondages, François Bayrou, aime à se réclamer de Romano Prodi. Il voit dans la coalition hétéroclite qui a porté l’ancien président de la Commission de Bruxelles au Palais Chigi, sans être sûre de pouvoir l’y maintenir bien longtemps, un modèle du genre. C’est qu’il s’y voit presque. Un leader modéré et charismatique (est-ce réellement compatible ?) qui réunit autour de SON programme des personnalités venues d’horizons divers et variés. Car Monsieur Bayrou est formel : n’accèderont à son gouvernement que ceux qui passeront sous les fourches caudines de ses certitudes. Résumons l’équation à multiples inconnues : François Bayrou est libéral (beaucoup de choses dans son programme le démontrent) mais n’a quasiment plus que des électeurs de gauche. Pour leur être agréable, il les assure qu’il ne rentrera jamais au bercail de la droite mais il ne change point d’idées. Le problème de Bayrou, c’est que Chirac a refusé de la nommer à Matignon en 2002. Alors, sous le coup de la colère, il veut l’Elysée, na ! Mais imaginons qu’il y accède : ce serait grâce, tour à tour, à l’élimination de Royal puis de Sarkozy par… les électeurs de toutes les gauches. Qu’adviendrait-il ? Survivant à la disparition de sa déjà presque plus compagne, François Hollande présenterait le mois suivant 577 candidats socialistes dans les 577 circonscriptions, la gauche se vengerait de l’affront de 2002 et Bayrou cohabiterait cinq ans avec un gouvernement et une majorité socialistes. Probablement même avec François Hollande. Un François peut en cacher un autre ? Et si, sans même le savoir, Bayrou était le faux-nez d’Hollande ? Ainsi, à défaut d’être Romano Prodi, Bayrou ne serait que Giorgio Napolitano.

vendredi 2 mars 2007

La cavalcade des éléphants

La cavalcade des éléphants. Ainsi les revoit-on, nos bons vieux pachydermes socialistes ! Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Lionel Jospin… Il n’y manque que Michel Rocard. C’est un nouvel et cruel revirement pour Ségolène Royal. Elle avait fondé sa conquête du Parti socialiste sur l’incarnation du changement ; elle n’avait même pas hésité à faire comprendre que son gouvernement ne compterait aucun ancien ministre. Mais elle se sentait un peu seulabre. Dame ! C’est qu’il faut le défendre ce programme pompeusement intitulé « Pacte présidentiel » et qui semble lui aller comme une cravate à un cochon d’Inde. Alors, quoi de mieux que de solliciter les éléphants, les gardiens de l’orthodoxie socialiste ? Marie-Ségolène Royal voulait réformer les 35 heures ? La voilà affublée de Martine Aubry pour s’assurer que rien ne sera fait en ce sens. Elle voulait glisser vers la social-démocratie à la scandinave ? La voilà flanquée de Pierre Mauroy pour être bien sûre qu’il n’en sera rien. Elle voulait marquer une rupture avec 2002 ? La voilà cornaquée par Lionel Jospin qui la gratifie de conseils dont elle ne saurait douter qu’ils soient précieux. Le problème dans tout ça, ce sont les militants socialistes. Oh, bien évidemment, les piliers des différentes sections n’y verront rien à redire. Mais quid de tous les encartés à 20 euros ? Quid de ceux qui se sont engagés par Internet pour seulement soutenir ce vent de changement ? Ne se sentent-ils pas un peu cocus ? Car, dans le bestiaire socialiste, les éléphants ont toujours fait bon ménage avec les dindons de la farce. S’ils se chamaillent, ils voyagent de conserve, clopin-clopant…