jeudi 23 août 2007

Mgr Lustiger, le judaïsme et le christianisme - (in Revue Commentaire)

La semaine dernière, j'ai publié ici même un billet dans lequel j'exprimais avec retenue et, je l'espère, discernement, le trouble qui avait été le mien au spectacle des obsèques du cardianl Lustiger et au cours desquels fut réservé un moment pour le rite juif.

Paraphrasant le prophète Isaïe, je m'engageais, comme croyant à comprendre.

Pour ce faire, je me suis plongé dans ma bibliothèque et j'y ai retrouvé la revue Commentaire, dans sa livraison de l'été 2006.



Cette excellente publication donnait, l'an passé, à lire le texte d'une conférence prononcée par Mgr Lustiger à Rome, en octobre 2005, pour le quarantième anniversaire de l'encyclique Nostra Aetate, sur les relations entre l'Eglise et les religions non chrétiennes, et qui coïncidait avec le soixantième anniversaire de l'entrée des troupes russes au camp d'Auschwitz.

Le cardinal Lustiger, dans ce texte profond et finalement assez aisément intelligible pour un vulgum pecus de mon espèce, explorait avec force les responsabilités respectives des juifs et des chrétiens vis à vis de Dieu, des hommes et même respectivement les uns à l'égard des autres. "Premièrement : juifs et chrétiens exercent ensemble une responsabilité à l'égard de la civilisation et de l'ensemble des hommes. Deuxièmement : juifs et chrétiens portent ensemble la charge de la Révélation biblique. cette commune responsabilité est immense et doit transcender toute autre forme de sentiment, qu'elle soit de nature confessionnelle ou nationale". Mgr Lustiger revendiquait avec puissance le concept de civilisation judéo-chrétienne, souvent décriée ou présentée de façon péjorative, mais dont l'évidence et la prégnence s'imposent à notre foi, à notre vie et à nos actions.

Issu de la religion juive, converti et devenu prince de l'Eglise de Rome, Mgr Lustiger soulignait l'indubitable convergence entre judaïsme et christianisme. Elle est fondé sur "l'exigence morale nécessaire à la vie de la société", elle-même puisant sa source dans le Bible et les Commandements contenus dans sa Révélation. Dès lors, l'appel à l'unité, après la réconciliation, des juifs et des chrétiens est non seulement une nécessité mais également une marque de fidélité aux commandements de Dieu comme à l'enseignement du Christ. "Chez les chrétiens, les juifs apôtres de Jésus ont obéi, non sans peine, à cet oracle prophétique ["En toi se béniront toutes les nations de la terre." (Gn, 12,3)], découvrant presque à leur corps défendant et avec étonnement que le don de l'Esprit était également accordé aux païens. L'ordre de Jésus donné aux siens d'aller enseigner toutes les nations (les goïms) pour former parmi elles des disciples qui recevront le baptême (Mt, 28, 19), en réalité, fait rejoindre aux chrétiens l'espérance juive pour le monde."

Dans cette conférence prononcée également à la suite de la visite du Pape Benoît XVI à la synagogue de Cologne, Mgr Lustiger souligne le statut singulier du peple juif qui "vit dans une situation paradoxale. Il demeure un peuple, il continue de revendiquer ce nom." Dans le même temps, il vit dispersé dans le monde, dans les différentes nations où ses fils et filles ont su souvent trouver toute leur place. "Il existe au sein de la diversité humaine des guetteurs et des témoins de la lumière de l'origine, non pour l'imposer, mais pour aider l'humanité à déchiffrer sa destinée. Les juifs ont conscience de leur particularité historique puisque cette Révélation leur a été confiée en premier, une fois pour toutes de façon irrévocable."

A leur suite, et à côté, les chrétiens sont des "bénéficiaires de cette première bénédiction" car l'Eglise des fidèles de Jésus est née des juifs.

Mgr Lustiger, au cours de cette intervention, a éclairé trs nettement ses auditeurs et, par ce texte publié, continue d'éclairer ses lecteurs, sur l'incontournable exigence de rencontre des juifs et des chrétiens pour que chacun comprenne, ou puisse comprendre, s'il en ressent le besoin dans son coeur, ce que Dieu exige de lui. A ce stade de son développement, Mgr Lustiger a exposé les termes de ce qu'il qualifie lui-même d'aporie, c'est à dire de difficulté extrême, de problème près d'être insoluble :

- "sans les juifs, l'universalité chrétienne pourrait se dissoudre dans un humanisme abstrait" ;

- "sans les chrétiens, le judaïsme, porteur de la bénédiction promise à toutes les nations, peut-il réaliser sa tâche sans se résorber dans la rationnalité universelle des Lumières, et sans vider de sa substance l'histoire qui l'a engendré ?"

L'enjeu, tel qu'il se posait aux yeux de l'ancien archevêque de Paris, résidait, pour les juifs, à résoudre l'équation de leur propre identité écartelée entre l'identité nationale israélienne et l'identité diasporique. "Pour sa part, au risque de se perdre en perdant son universalité, le christianisme ne peut accepter ce déracinement hors d'Israël, c'est à dire hors de l'Alliance, du choix premier de Dieu. La rencontre - le lien - des juifs et des chrétiens, dans la tension toujours à respecter entre eux, offre à l'humanité entière son visage originel et conforte son espérance d'une unité pacifique."

"Aujourd'hui, au vu de l'histoire, sans que le rapprochement puisse rendre moins aiguës les divergences, l'urgence de l'appel reçu aux origines oblige les frères séparés, le frère ainé et le puiné, à répondre, chacun pour sa part, à la mission qui lui est assignée. Aucun ne peut la remplir sans l'autre, sans pour autant faire violence à l'autre ni le réduire."

C'est ce message qui, je le crois maintenant, nous était délivré le matin des funérailles du cardinal Lustiger.

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