samedi 28 avril 2007

Le silence des intellectuels

Dans "Le Figaro littéraire" du 19 avril dernier, a été publié un passionnat dossier consacré à "l'abstantion des clercs", l'assourdissant silence relatif des clercs à la veille de l'élection présidentielle.

Jean-François Colosimo s'y interroge au point de se demander si nous ne serions pas en train d'assister au crépuscule de l'"intellectuel français", espèce spécifique à notre société culturelle et politique nationale, apparu il y a de cela plus d'un siècle lors de l'Affaire Dreyfus et illustrée dans les manuels par le faeux "J'accuse" de Zola.

Vaclav Havel, dans le même numéro, à travers un entretien avec l'écrivain français Daniel Rondeau, livre son expérience d'auteur dramatique, d'intellectuel dissident et d'ancien président de la République tchèque libérée du communisme : "Je dirais que sur ce thème de l'engagement, il faut se méfier de deux excès : l'indifférence et l'excès d'engagement. On déplore beaucoup aujourd'hui l'indifférence des intellectuels. Mais leur excès d'engagement n'a pas toujours été un bienfait. Il a pu conduire au fanatisme. Nous retrouvons cette notion essentielle de responsabilité. Elle pose la question de la mesure, de la distance, de la capacité de rester critique envers ce que l'on est soi-même." Quelle magistrale leçon de Havel et, surtout, que voici une définition de l'intellectuel et de sa mission qui trace la voie pour la pensée contemporaine : la mesure, la distanciation et l'esprit critique. Dans le fond, cela pourrait définir la tradition des moralistes français de Montaigne à Camus, en passant par Montesquieu.

Toujours dans le supplément littéraire du grand quotidien conservateur et libéral, Max Gallo, ancien militant communiste puis ministre d'un des tous premiers gouvernements de gauche de François Mitterrand, trace un portrait antagoniste de l'action politique et de la réflexion de l'intellectuel : "la politique, c'est la conquête du pouvoir. Action collective. La réflexion d'un intellectuel est solitaire, elle vise à dire la complexité du réel et ses aspects contradictoires. Le politique n'est pas l'incarnation du mal. Il est celui qui doit "s'arranger", "s'accomoder", trouver l'équilibre entre "promesses" (mensonges ?) et réalité." Gallo soulève ici un enjeu bien plus complexe encore à aborder que la voie morale proposée par Havel. L'équation est ardue à résoudre tant l'incompatibilité entre action politique et réflexion intellectuelle semble irréfragable. Si l'action politique nécessité de puissantes convictions qui la portent, la pensée mesurée, distante et critique ( au sens de Havel) doit "dire la complexité du réel et ses aspects contradictoires". Autant dire que la réflexion de l'intellectuel conduit au doute inconciliable, apparemment avec des convictions fortes et arrêtées. L'embrigadement de bein des "inellectuels français" au XXème siècle semble alors avoir plus relevé du "fanatisme" que d'une pensée qui se cherche à tâtons.

Pour finir, Jacques Henric, fondateur de "Art Press" et ancien de "Tel Quel", proche d'Aragon et de Roland Barthes, propose - assez paradoxalement au premier abord - le catholicisme comme possibilté d'une solution : "le Pape actuel me semble être un théologien et un penseur de haut niveau, lecteur de Heidegger, passionné de Mozart, ce qui ne gâte rien. (...) Ne pas comprendre que l'Eglise catholique peut être une des forces de résistance aux intégrismes et aux totalitarismes qui nous menacent me semble bien irresponsable."

Concluons sur l'hommage unanime que le monde cultivé et mélomane - et pas seulement en Russie - rend Mstislav Rostropovitch, décédé cette semaine à 80 ans. Les grands médias se rappellent à l'envi le disssident soviétique déchu de sa nationalité pour son soutien à Soljenitsyne et à Sakahrov, et diffusent en boucle l'image du grand violoncelliste, avec son stradivarius, interprétant une suite de Bach au pied du mur de Berlin à peine effondré depuis quelques heures. C'était en 1989. C'était hier. C'est une éternité. Le mythe fascinant de l'artiste engagé n'est donc pas tout à fait mort.

Aucun commentaire: