jeudi 27 décembre 2007

Hommage à Julien Gracq

Loin de tous ces fracas qui troublent la traditionnelle trêve des confiseurs, un immense écrivain vient de s’éteindre. A 97 ans, Julien Gracq s’en est allé aussi discrètement qu’il a vécu. C’est une perte considérable tant son œuvre porte l’éloquent témoignage de la marque indélébile que cet auteur laisse dans l’histoire de la littérature française.



Sa disparition, discrète, est à la mesure du souci d’effacement qui fut le sien, lui qui vivait retiré de toute mondanité dans son petit village de Saint-Florent-le-Vieil, dans le Maine-et-Loire.

Au sujet de Julien Gracq, beaucoup de choses vont être dites et écrites dans les prochaines semaines. Je forme le vœu que ces hommages donnent à beaucoup d’entre vous le désir de lire un ou plusieurs de ses livres. Même si cela relève du poncif, il faut dire que Gracq était le dernier survivant d’un siècle exceptionnel, le dernier des grands classiques du XXème siècle qui vit Gide, Camus, Mauriac, Bernanos, Malraux et tant d’autres. Avec sa disparition, doit-on en conclure qu’il n’y aura plus de grand écrivain en France, symptôme d’une déliquescence de la culture française comme le titrait un grand hebdomadaire américain avant les Fêtes ? Ce serait aller un peu vite en besogne. De ce point de vue-là, le XXIème siècle n’a peut-être tout simplement pas encore commencé. Du reste, qu’est-ce que la place d’un écrivain dans la postérité ? Gracq lui-même, dans « Lettrines », ne se le figurait qu’avec peine : « Personne, sans doute, n’écrit réellement pour la postérité (dont il n’est au pouvoir de personne, en 1964, de deviner quelle figure elle pourra bien prendre, ne fût-ce que dans quelques années). Je ne crois pas non plus que la postérité soit pour l’écrivain une "illusion commode" – je crois qu’il en use, plutôt, sans y croire vraiment, comme d’un artifice de procédure pour maintenir son procès ouvert – un procès qu’il ne peut envisager de perdre : ainsi Jeanne d’Arc en appelait au pape et Luther au concile : sans excès de conviction, m’a-t-il toujours semblé. La vérité est qu’il y a probablement dans l’écrivain, à certains moments privilégiés où il tourne vers ce qu’il fait, un regard qui lui paraît naïvement intemporel, un fou qui sait, qui a raison contre tous les autres, présents ou futurs, et à qui la postérité même apparaît pour le juger sans justification suffisante. La postérité, avec ses goûts et ses jugements, ce n’est après tout que la littérature militante de demain – lui, dans ses moments, il est sur un autre plan : il s’intègre d’emblée à la littérature triomphante. »




Julien Gracq a publié dix-huit ouvrages, toujours chez le même éditeur José Corti. En 1951, pour le « Rivage des Syrtes », il obtient le Prix Goncourt qu’il refuse, écœuré par un certain milieu mondain intellectuel qu'il caricature dans son pamphlet « Littérature à l'estomac ».

A son sujet, Claude Roy a écrit ceci : « Les romans qui ont donné à Gracq sa notoriété sont de beaux vaisseaux fantômes amarrés à la terre par un promeneur solitaire, les rêveries d’un flâneur de la nature dont l’art subtil est de nous faire croire à ses contes en les imprégnant de la brume qui baigne un littoral, de l’odeur d’herbe fanée des prairies de l’été, de la rumeur du vent qui fait bruire la forêt et des ininventables détails de la naturelle nature. Gracq appartient à cette précieuse espèce des écrivains qui écrivent les livres qu’ils ont envie de lire. »

Le plus bel hommage qu’on puisse rendre à un écrivain, c’est de le lire.

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