lundi 10 décembre 2007

Philippe Claudel, Charles Dantzig, Zoé Valdés : impressions contrastées

Dans une précédente chronique, j’avais fait référence au dernier roman de Philippe Claudel, « Le rapport de Brodeck » (Stock). Je veux y revenir plus complètement cette semaine tant ce livre est de ceux qui m’ont vraiment profondément marqué ces derniers mois. Il y a tout d’abord, chez Claudel, une écriture qui est celle d’un authentique écrivain qui cisèle une langue de belle facture. J’aime quand un auteur la pratique avec cet amour des mots et de la grammaire qui sont le socle de notre civilisation. « La nuit avait jeté son manteau sur le village comme un roulier sa cape sur les restes de braises d’un feu de chemin. » Ou encore, « Je me souviens d’avoir pensé que les yeux n’ont pas d’âge, et que l’on meurt avec ses yeux d’enfant, toujours, ses yeux qui un jour se sont ouverts sur le monde et ne l’ont plus lâché. »




Le roman se situe à une époque incertaine, dans un lieu incertain lui aussi. Les patois évoqués rappellent l’Europe centrale, l’horreur dont il est question tout au long du livre nous parle de la Shoah sans jamais la citer. Ce que nous dit ici Claudel ressortit à l’intemporel et au récurrent. En tout temps et en tout lieu, l’homme peut être bon comme mauvais, lâche souvent, sauvé par l’amour parfois. Il nous parle aussi des crimes collectifs, de la mauvaise conscience et de la culpabilité. On ne ressort pas indemne de la lecture du « Rapport de Brodeck » mais le malaise n’efface pas l’éblouissement devant le talent de l’auteur qui jamais ne cède ni à la vulgarité ni à l’exhibitionnisme pourtant à la mode. Et il est plaisant de voir un écrivain qui pourrait avoir tout d’un classique rencontrer le succès. C’est un signe que la littérature française dispose encore de beaux jours devant elle.

En revanche, je dois à l’honnêteté de dire un peu de mal d’un écrivain dont je ne devrais dire que du bien, d’autant plus qu’il est Tarbais. Au demeurant, foin de retenue tant dans son « Dictionnaire égoïste de la littérature française », Charles Dantzig écrit de vilaines choses sur la ville dont il est originaire. Son « Je m’appelle François » (Grasset), paru cette saison, m’est tombé des mains… d’ennui. A force de vouloir trop en faire, certains écrivains m’agacent et me lassent. Ce fut son cas. Tant pis. Mais je vous avoue que je n’aime pas ne pas aimer un livre, c’est comme une promesse non tenue.




« L’éternité de l’instant » de Zoé Valdés (Gallimard) est au contraire une véritable merveille. La poétesse, romancière et scénariste cubaine, qui vit à Paris depuis qu’elle est interdite de séjour dans son pays, a publié cette année le récit délicat, troublant et sensuel des origines de sa propre famille. De la Chine d’avant Mao à Cuba d’après Castro, ce roman nous emmène loin, très loin. « Même le voyage le plus long commence par un seul pas. (…) Ce moment dura une seconde de grande perturbation, mais aussi de grand courage et d’intensité. Et cette seconde dure encore dans mon âme, elle est arrivée jusqu’à aujourd’hui. C’est l’éternité de cet instant qui me maintient vivant. » Nous devons la version française à Albert Bensoussan, le traducteur de Mario Vargas-Llosa également.




J’aime l’idée que vous offrirez peut-être un de ces livres, même celui avec lequel je me suis ennuyé. Il faut offrir des livres, c’est ce qui nous sauve de la barbarie.

2 commentaires:

Rosa a dit…

Dommage pour Dantzig car j'avais l'intention de le lire.
je passerai à autre chose.
D'accord avec votre conclusion sur "Brodeck" : on n'en sort pas indemne...

François-Xavier Brunet a dit…

Si je suis sévère sur Dantzig c'est uniquement parce que son livre m'a ennuyé. Le thème de sa narration pourrait être passionnant mais à trop vouloir être foisonnant on peut finir par se perdre.
Quant à Claudel et son "Brodeck", oui, je l'avoue, il y avait longtemps qu'un roman contemporain ne m'avait pas fait une aussi forte impression.