vendredi 6 juillet 2007

Tzvetan Todorov : "La littérature en péril"

Tzvetan Todorov est peu connu du grand public français. Natif de Bulgarie, cet historien et essayiste vit pourtant en France depuis le début des années 1960 et il est l’auteur de nombreux ouvrages qui font autorité. Actuellement directeur de recherche honoraire au CNRS, Todorov a publié en début d’année, chez Flammarion (dans la collection « Café Voltaire »), un pamphlet au titre éloquent : « La littérature en péril ».



Le prière d’insérer est, lui aussi, parfaitement explicite sur l’intention de l’écrivain : « Une conception étriquée de la littérature, qui la coupe du monde dans lequel on vit, s’est imposée dans l’enseignement, dans la critique et même chez nombre d’écrivains. Le lecteur, lui, cherche dans les œuvres de quoi donner sens à son existence. Et c’est lui qui a raison. »

Il s’agit donc d’un bref essai, véritablement enthousiasmant, qui sonne une charge impitoyable et taille en pièces les professeurs, les critiques littéraires et tous les gens prétendument de lettres qui ont, à ses yeux, dénaturé la littérature au point d’en menacer l’existence même.

« Aussi loin que remontent mes souvenirs, je me vois entouré de livres. » C’est ce précieux héritage transmis par ses parents – bibliothécaires – que Todorov entend défendre. Et de raconter comment, jeune étudiant de la faculté de lettres de Sofia (songeons que la Bulgarie était à l’époque sous le joug communiste), il vint en France pour compléter ses études et ne plus jamais quitter ni ce pays ni sa littérature. Dès l’avant-propos, il donne une des plus belles définitions qui m’ait jamais été donné de connaître : « Si je me demande aujourd’hui pourquoi j’aime la littérature, la réponse qui me vient spontanément à l’esprit est : parce qu’elle m’aide à vivre. (…) Plutôt que d’évincer les expériences vécues, elle me fait découvrir des mondes qui se placent en continuité avec elles et me permet de mieux les comprendre. »

Alors par quoi la littérature peut-elle bien être mise dans un péril tel qu’il faille s’en inquiéter ? Par le fait, selon Tzvetan Todorov, qu’elle est « réduite à l’absurde. » Premières à comparaître, l’Education nationale et ses instructions officielles. Elles sont ici incriminées car la théorie de l’enseignement des lettres qui prévaut – et nous en avons tous fait l’amère expérience – consiste à non plus étudier les œuvres (ni pour elles-mêmes, ni pour ce qu’elles apportent) mais les outils dont elles se servent. Bref, « à l’école, on n’apprend pas de quoi parlent les œuvres mais de quoi parlent les critiques. » Il faut donc revenir à l’étude des auteurs, de leur œuvre et de leurs textes de préférence aux concepts fumeux dont on embrouille l’esprit de nos potaches désabusés. De là provient le dépérissement des filières littéraires au baccalauréat qui n’attirent plus que moins d’un lycéen sur dix.

Au-delà de l’école, Todorov dénonce la dérive complaisante et narcissique, jusqu’à l’obscénité, incarnée par la mode de l’ « autofiction ». Cet étalage d’émois et d’expériences souvent intimes éloigne le lecteur de la littérature pour le mettre au cœur d’un processus d’écriture thérapie ou catharsis. La littérature se perd quand elle se conçoit comme trop autonome à l’égard du monde et de l’époque dans lesquels elle éclot. L’essayiste brosse alors un tableau qui va de la naissance de l’esthétique moderne au siècle que nous venons à peine de quitter, en passant par le romantisme et les avant-gardes. Et de regretter que « désormais, un abîme se creuse entre littérature de masse, production populaire en prise directe avec la vie quotidienne de ses lecteurs ; et littérature d’élite, lue par les professionnels –critiques, professeurs, écrivains – qui ne s’intéressent qu’aux seules prouesses techniques de ses créateurs. » Car il ne faut pas oublier le rôle déterminant des romans populaires qui ont contribué à l’essor de la lecture et au développement du goût de générations entières. Que serais-je moi-même devenu si je n’avais pas, dès le plus jeune âge, dévoré Alexandre Dumas, Marcel Pagnol et ces fabuleux romans de flibustiers publiés dans la « Bibliothèque verte » ?

« La littérature a un rôle vital à jouer » et il faut en développer la pénétration dans la société en favorisant la lecture par tous les moyens. Il faut aussi replacer les études littéraires, dans leur authentique acception, et les humanités au sens le plus large au cœur du système éducatif français. Voilà un beau défi pour notre civilisation dont il faut bien reconnaître qu’elle part en capilotade.

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