
« Neige » (Gallimard) n’est pas la dernière œuvre de Pamuk publiée en France mais ce roman aux allures de fable politique décrit les tourments de la Turquie actuelle. Ce livre a été publié en 2005, au moment où son auteur connaissait ses ennuis avec la justice. Il constitue donc un témoignage passionnant autant qu’écrasant.
Le personnage, Ka, poète turc exilé à Francfort, revient dans son pays natal pour y revoir sa mère, à Istanbul. Là, il décide se rendre aux confins de l’Anatolie, du Kurdistan et de l’Arménie, à Kars, pour y écrire un reportage que lui commande un journal stambouliote sur une série de suicides qui affecte les jeunes filles de la région. Ces drames sont étroitement liés aux pressions et aux difficultés qu’elles affrontent pour obtenir le droit de porter le voile à l’école. Ka débarque dans cette ville-frontière alors qu’une tempête de neige recouvre la cité et la coupe du monde. Mais une autre quête anime Ka, celle de l’amour d’Ipek, une belle et mystérieuse jeune femme, ex-épouse du candidat islamiste à la mairie de Kars, fille d’un ancien militant communiste et dont la sœur, Khadife est la maîtresse d’un chef clandestin de la mouvance religieuse, l’étrange Lazuli. Dans ce maelström, Ka retrouve l’inspiration perdue et le temps d’écrire des poèmes alors qu’il traverse, au péril de sa vie, la rivalité meurtrière entre islamistes et républicains kémalistes au moment d’un putsch théâtral et crapuleux. Ce récit, lourd de sens, se déroule sur fond de misère (matérielle et morale) et d’isolement. Il illustre aussi non seulement la culpabilité que ressent tout émigré de retour au pays mais également l’équivoque des sentiments de la société turque à l’égard de la civilisation européenne, faits à la fois d’attraction et de répulsion.
Il y a, dans le roman de Pamuk, cette neige, lourde et collante, qui crée une atmosphère pesante, étouffante. A Kars, la mort rôde à tous les coins de rues, et Dieu aussi, mais un Dieu terrible, qui n’est pas fait de miséricorde. Et cette lenteur, cette lenteur excessive, effrayante et angoissante, dans une ville amortie, assourdie, étouffée dans l’ouate blanche et duveteuse de la neige trop abondante. La lecture de « Neige » a, pour moi, été lente elle-aussi car je n’ai jamais pu le lire plus de vingt minutes d’affilée tant sa narration dépressive est contagieuse. Mais on y revient quand même.
« Neige » apporte un éclairage passionnant sur cette culture qui frappe à la porte de l’Union européenne. A défaut de la visiter, il faut connaître sa littérature pour appréhender une civilisation.
1 commentaire:
je partage avec toi cette sensation de lecture pesante. Oui, j'ai aussi été gagnée par cette sensation dépressive contagieuse, et j'ai lu ce livre par petits bouts. Pourtant, j'y suis toujours revenue, jusqu'à le terminer.. Pourquoi ? Le suspense mené étrangement jusqu'au bout ? le mystère entretenu par la forme étrange et compliquée de ce roman ?l'envoutement que procure finalement le style lent et obsédant de cette écriture si particulière ?la volonté de percer le mystère de cette forme , motif qui semble structurer le récit sans que je n'ai vraiment réussit à comprendre comment : schéma d'un flocon de neige , dont le centre est un lieu d'où Dieu est absent, et dont les branches sont les poè-mes d'un égaré en quête d'amour et d'identité incertaine...
je n'ai pas les clés pour en venir à bout de ce livre... ce qui explique peut-être la longueur du commentaire... ( mes excuses)
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