Jean-François Revel est décédé le 30 avril 2006, à l'âge de 82 ans. Dans "La Montagne" du 5 mai 2006, j'avais écrit ceci : "Le libéralisme doit beaucoup à Jean-François Revel qui vient de s’éteindre le week-end dernier à l’âge de 82 ans. Dans ces mêmes colonnes, j’ai souvent eu l’occasion d’évoquer la pensée et l’œuvre de l’académicien et de souligner l’importance de sa place dans le paysage intellectuel français. A la fois philosophe, écrivain et journaliste, Revel était l’interprète d’une pensée anti-conformiste en France : celle de la droite libérale et anti-communiste. Dès la fin des années 50, son premier livre « Pourquoi des philosophes ? » pourfendait avec la même alacrité à la fois le marxisme, Lacan et Heidegger. Tout au long de sa carrière, qui le conduisit aussi à collaborer à l’Express et au Point, Jean-François Revel dénonça la pensée unique, les petites comme les grandes hypocrisies d’une intelligentsia française n’étant pas parvenue à faire le deuil du communisme. Son dernier ouvrage, « L’obsession anti-américaine », est paru en 2002. A peine éteinte, la voix de Revel nous manque déjà." Je n'en change pas une virgule. Et la lecture de "Pour Jean-François Revel" de Pierre Boncenne (Plon), publié l'année dernière, conforte dans cette conviction.
Cet hiver, l'excellente revue "Commentaire", fondée par Raymond Aron, dresse un passionnant et émouvant tombeau à la mémoire de Revel, dont les pierres sont apportées par les témoignages de quelques-uns de ses amis de vie et de pensée. On y retrouve entre autres Simon Leys, Max Gallo, Philippe Meyer, Pierre Nora, Mario Vargas-Llosa et, lui aussi maintenant disparu, Jean-François Deniau.
Me vient alors l'envie de partager quelques notes de lecture :
"Avec lui disparaît le dernier des libéraux français du XXème siècle, dans la lignée d'Elie Halévy et de Raymond Aron. Tous trois furent confrontés aux grandes guerres et aux idéologies qui dévastèrent le XXème siècle, d'une violence inégalée du fait de la mobilisation des formidables moyens de la société industrielle au service de l'avilissement des hommes et de leur extermination. Tous trois, issus des rangs de la gauche, se convertirent au libéralisme pour préserver la démocratie, sous la pression de l'histoire et par l'exercice de la raison critique. Tous trois laissent une oeuvre immense, placée sous le double signe de la philosophie et de l'histoire, du travail scientifique et du combat antitotalitaire." (Nicolas Baverez)
Dans le même article, intitulé "L'esthète, le combattant et le philosophe", Baverez voit le parcours intellectuel de Revel fondé sur quatre convictions majeures : la force des idées et de la pensée, le primat et la puissance de la liberté, la raison critique et, enfin, la traque impitoyable du mensonge et de l'erreur.
Alain Besançon, pour sa part, apporte un émouvant témoignage à partir d'un souvenir de bloody mary pris dans le bar d'un grand hôtel de Washington, à l'occasion d'un colloque, dans les années quatre-vingt. Besançon dépeint un Revel aux couleurs de la bonté, de l'amour de la liberté et de la vérité, de la précision.
Enzo Bettiza entend encore Revel lui dire, en plein mai 68 : "Vous les entendez, ces jeunes gens aisés, en bas ? Ils imaginent la révolution, ils ne font que l'imaginer et la rêver, car ils savent parfaitement qu'ici, en Occident, en 1968, après une révolution aussi complexe que la Révolution française et après les terribles échecs de la Révolution russe, il n'est plus possible de faire la révolution. Les barricades de papier mâché de ces fils à papa sont la preuve par neuf qu'aucune révolution authentique n'est plus réalisable ni concevable dans le monde occidental. Le terme psychodrame, tellement à la mode aujourd'hui, n'est qu'un euphémisme rhétorique pour ne pas dire impuissance révolutionnaire."
Philippe Meyer, après nous avoir, comme d'autres, décrit un Revel amateur d'agapes, trouve du sens à ce que dans son anthologie de la poésie française, Jean-François Revel n'ait retenu de Boileau que deux vers : "Le moment où je parle est déjà loin de moi." et "Mes défauts, désormais, sont mes seuls ennemis..."
A lire donc absolument.
mercredi 28 février 2007
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